L’Australie : Entre l’isolement et la résilience

Les États-Unis, l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient attirent beaucoup l’attention lorsque nous traitons de commerce international au Canada. Mais vu sa distance, rarement l’Australie fait partie de nos conversations. Après tout, c’est une région vraiment isolée du monde. Malgré sa position géographique désavantageuse, l’Australie représente une force agroéconomique ahurissante.

D’abord, l’Australie produit suffisamment de denrées alimentaires pour se nourrir quatre fois. Ainsi, 93 % de la nourriture consommée sur son territoire provient de l’Australie, un ratio incroyable. Bananes, noix, ananas, mangues, olives, bref, l’agriculture australienne est l’une des plus variées sur la planète ; elle offre de tout.

Par nécessité, le pays a une économie agraire très ouverte et transige avec plusieurs régions du monde, mais surtout avec l’Asie. Le pays est un ardent partisan de la libéralisation des marchés agricoles mondiaux depuis les premières instances. L’Australie, qui exporte 60 % de son agriculture, n’a plus à vanter son bœuf et son blé ; ses deux plus grands produits voués à l’exportation. Le Japon et la Chine constituent ces deux plus grands marchés puisqu’au fil des ans l’Australie est devenue le pourvoyeur alimentaire par excellence pour l’Asie, un marché en pleine croissance.

En Australie, tout se fait sans subvention ou presque. Imaginez, un secteur agricole ayant accès à peu de subventions et devant conjuguer avec un climat atroce ! En effet, selon un rapport de l’OCDE, la nation australienne contribue le moins à son agriculture en fonction du poids économique du secteur. À peine 1.7% des recettes du secteur émanent de programmes de subvention. Seules l’Ukraine et la Nouvelle-Zélande offrent moins à ses agriculteurs. Au Canada, ce pourcentage atteint presque 10%, et de même pour les États-Unis. Le plus haut taux de 55.7% revient à l’Islande.

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En revanche, des entreprises viendront parfois en aide aux agriculteurs. Par exemple, présentement, le lait se vend à 1 $ le litre, c’est peu puisque leur système de gestion de l’offre a été démantelé il y a pratiquement 20 ans, les producteurs reçoivent peu et la sécheresse rend les temps difficiles. Au détail, les géants de la distribution tels que Coles et Woolworths versent 30 cents par litre vendu dans un fonds d’aide pour les producteurs laitiers. Cette campagne durera quelques mois, un scénario invraisemblable au Canada. En gros, l’appui du secteur privé en épate plusieurs lorsque vient le temps de soutenir de tels programmes d’aide et de formation.

Le gouvernement australien aidera parfois les agriculteurs durant les sécheresses puisqu’ils se battent littéralement contre la nature. Le climat australien, probablement le plus imprévisible au monde, occasionne des sécheresses qui n’en finissent plus et qui affectent la majorité des agriculteurs, pratiquement deux saisons sur trois. Pour minimiser les effets des changements climatiques, l’agriculture australienne a réduit ses gaz à effet de serre de moitié depuis dix ans. En misant sur leur image propre qui soutient un agenda environnementalement responsable, l’agriculture australienne fait son petit bonhomme de chemin.

De plus, contrairement à d’autres pays occidentaux comme le Canada, l’agriculture australienne bouge et se renouvelle. La moyenne d’âge d’un agriculteur en Australie tourne autour de 56 ans, mais la proportion des producteurs sous la barre des 35 ans se démarque comme l’une des plus élevées au monde. Une situation complètement à l’opposé de celle du Canada où les jeunes fuient les régions.

Loin d’être parfaite, l’agriculture australienne fait face à un défi de taille, celui de la salubrité alimentaire. Le régulateur public estime qu’il y a plus de 5,4 millions de cas d’intoxication alimentaire par année. Pour bien comprendre la portée de ce chiffre, disons qu’annuellement un Australien court 40 % plus de chances de souffrir d’une intoxication alimentaire qu’un Canadien. Pour empirer les choses, l’Australie a récemment vécu un épisode d’aiguilles dans ses fraises ; plus de 140 cas répertoriés par des consommateurs et détaillants. Une situation très préoccupante.

Sur le plan de l’innovation et de l’entrepreneuriat dans le domaine agroalimentaire, l’Australie ressemble beaucoup au Canada. La recherche et le développement de nouveaux produits traînent de la patte et manquent d’inspiration. Comme le Canada, l’Australie demeure une économie agroalimentaire vide de sens au niveau des marques et de la transformation alimentaire. Il y a quelques produits novateurs, mais trop peu.

Comme partout ailleurs, les consommateurs australiens changent. De plus en plus, ils s’intéressent au végétarisme. D’ailleurs, le marché australien regroupe le plus grand nombre de nouveaux végétariens au monde, depuis les deux dernières années. Cette mouvance crée d’ailleurs un malaise palpable chez les producteurs bovins et porcins et tout comme au Canada, ils recherchent des solutions.

Somme toute, l’Australie, ce pays lointain, nous donne l’impression que tout demeure possible dans le domaine agroalimentaire.

Dr. Sylvain Charlebois/Professor/Professeur Titulaire
Professor in Food Distribution and Policy
Professeur en distribution et politiques agroalimentaires