Apprendre de l’ennemi

« Walmart devient maintenant le troisième plus grand détaillant alimentaire au Canada. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’entreprise américaine devienne numéro un chez nous. »

Apprendre de l’ennemi

L’entreprise de Bentonville, Arkansas n’a jamais caché ses ambitions de devenir le plus important détaillant en alimentation au Canada. Depuis le premier trimestre cette année, Walmart se classe maintenant troisième, ex æquo avec Métro, mais juste derrière Loblaw-Provigo et Sobeys-IGA. Incontestablement, l’ascension de Walmart bouscule le secteur de la distribution depuis quelque temps. Mais l’establishment de la distribution alimentaire canadienne semble loin d’abdiquer.

Walmart vend maintenant pour environ 13 milliards de dollars en produits alimentaires au Canada, somme qui s’approche de celle de Métro. Loblaws-Provigo se situe loin devant avec des ventes dépassant les 45 milliards de dollars, tandis que Sobeys-IGA arrive bon deuxième avec environ 23 milliards de dollars. Depuis que Walmart a déployé sa stratégie des Super Centres, ces magasins dont la moitié de la surface offre des produits alimentaires, ses ventes augmentent de 700 à 900 millions de dollars par année. Cette performance en rend plusieurs nerveux.

Peu à peu, malgré l’assaut de Walmart, l’industrie se redéfinit. En effet, depuis une dizaine d’années, l’industrie répond en gérant mieux ses frais d’exploitation en faisant ce que Walmart fait le mieux. Et depuis septembre 2016, la vague déflationniste des prix alimentaires nous a permis de voir à quel point l’industrie peut s’adapter. Outre Sobeys-IGA qui travaille sur son projet d’intégration avec Safeway dans l’Ouest, Loblaw-Provigo et Métro affichent de très bons résultats financiers.

Bref, le secteur de la distribution alimentaire vit un peu ce que l’industrie de la musique a vécu il y a 15 ans avec le cauchemar des téléchargements illégaux qui augmentaient sans cesse. Les revenus chutaient, et l’industrie peinait à se restructurer. Pendant des années, le secteur de la musique était convaincu qu’il offrait ce que le consommateur voulait. Pourtant, une compagnie qui n’avait rien à voir avec la musique, Apple, a restructuré cette industrie en lançant son iPod et iTunes. En un rien de temps, Apple a su repositionner et monnayer la chanson sur le marché à une époque pendant laquelle personne ne voulait payer. Apple a en quelque sorte sauvé l’industrie de la musique. Même si les revenus ont diminué, le public n’a jamais acheté autant de chansons.

La même chose s’observe dans le secteur de la distribution alimentaire, qui se veut un peu traditionaliste. Que le secteur veuille l’avouer ou non, l’héritage de Walmart relève la capacité logistique du secteur dans son ensemble. Walmart n’avait pas grand-chose à offrir en alimentation à ses débuts au Canada en 1994. Mais en voulant reproduire le succès du géant américain, Loblaw-Provigo, Sobeys-IGA et Métro ont investi massivement en distribution et en système d’information. De surcroît, ces trois grands administrent mieux leurs coûts par le biais d’une meilleure maîtrise des relations qu’ils entretiennent avec leurs fournisseurs. Costco a aussi contribué à rendre le secteur plus efficace. Le roi du cash et de la loyauté incite désormais les consommateurs à vivre une expérience différente. Encore là, les trois grands améliorent leur programme de fidélisation de façon incrémentale et se donnent plus d’outils pour d’éventuelles expansions.

Avec sa facilité d’utiliser l’intelligence artificielle, Amazon Fresh dérange les forces oligopolistiques d’une industrie en ajoutant un élément totalement étranger au secteur. L’intuition demeurait l’arme privilégiée des gestionnaires en distribution alimentaire pendant des années. Mais ce n’est plus le cas. L’objectif premier d’Amazon Fresh est de comprendre les consommateurs, mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes. Amazon Fresh tente d’anticiper la demande avant qu’elle se concrétise, en ligne ou en magasin avec son modèle Amazon Go.

En principe, Walmart, Costco at Amazon Fresh obtiennent du succès puisqu’ils répondent au besoin d’économiser du consommateur. Peu importe ce que les élites disent de ces détaillants, les consommateurs se pointent le nez quotidiennement à la recherche d’aubaines, et surtout, plusieurs d’entre nous veulent sauver du temps.

Mais dans le cas de Walmart précisément, sa performance impressionne. Pendant que le secteur du détail en alimentation dans son ensemble augmentait ses ventes d’à peine 0,7 % l’année dernière, les ventes alimentaires chez Walmart enregistraient une hausse de plus de 6 %. Cela veut donc dire que Walmart attire des ventes autrefois destinées aux trois joueurs traditionnels. Même si le trio est en mesure de mieux absorber les contrecoups de Walmart, cette tendance risque de continuer. Walmart deviendra indéniablement le numéro un au pays en distribution alimentaire.

Mais avant d’en arriver là, Loblaw-Provigo, Sobeys-IGA et Métro auront beaucoup appris de Walmart, et des autres, par volonté de vouloir survivre. Le secteur est désormais mieux géré qu’auparavant. Tout porte à croire qu’il est parfois payant d’apprendre de l’ennemi.

Dr. Sylvain Charlebois, Dean
Faculty of Management
Professor in Food Distribution and Policy
Faculty of Management
Faculty of Agriculture

Dalhousie University
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