La montée du « snacking »

« Le snacking change progressivement les règles du jeu dans l’industrie agroalimentaire. Plus important encore, il mettra tranquillement fin à une institution que nous avons toujours beaucoup protégé : les repas. »

SYLVAIN CHARLEBOIS, Professeur en distribution et politiques agroalimentaires, Facultés en Management et Agriculture, Université Dalhousie.

Le snacking est une pratique de plus en plus acceptée, tant par les experts de la santé que par les consommateurs eux-mêmes. Pendant plusieurs années, tout guide nutritionnel conseillait d’éviter de manger entre les repas. Plus maintenant. Dorénavant, le snacking est à la mode. Selon un sondage effectué par l’Université Dalhousie l’an dernier, au-delà de 90 % des consommateurs canadiens prennent un petit goûter, plus de cinq fois par semaine, pratiquement une fois par jour. La collation ne s’associe plus à une gourmandise ou une grignotine prise entre les repas, mais dans un nombre grandissant de cas, les collations remplacent carrément les repas.

Au dernier Salon international de l’alimentation (SIAL) qui se tenait à Montréal, le snacking était à l’honneur. D’ailleurs, depuis deux ou trois ans, il prend de plus en plus de place lors de grands événements agroalimentaires. Plusieurs petites entreprises en démarrage offrent une solution simple et facile à manger au cours de la journée, après avoir fait de l’exercice, ou lors des déplacements. Le marché des collations au Canada a déjà dépassé les 10 milliards de dollars par année, et ce montant ne cesse d’augmenter. Avec la redéfinition du centre du magasin, les supermarchés font de plus en plus de place aux collations.

Mais le temps des croustilles, du maïs soufflé et du chocolat est révolu. Les consommateurs recherchent des produits santé, sans souci. La collation ne s’associe plus nécessairement aux gâteries, mais s’inscrit dans un régime de vie moderne, adapté aux besoins actuels. L’avocat, le zucchini, le yogourt, même les grillons font partie des ingrédients offrant des apports nutritionnels intéressants aux consommateurs pressés.

Pour l’industrie, développer des produits de collation devient vraiment la voie la plus facile à suivre ces jours-ci. Vendre un repas, ou un complément de repas l’est moins. D’abord, il faut que le consommateur sache cuisiner. Ensuite, il doit forcément avoir le temps de s’asseoir et de consommer son déjeuner, dîner ou souper, peu importe le repas. Se consacrer aux repas à des heures fixes durant une journée devient de plus en plus difficile. Dans le cas d’une grignotine, il suffit d’offrir une solution indépendante, prêt-à-manger, à valeur ajoutée et surtout, à un prix plus élevé par bouchée. Pour les multinationales comme Campbell’s, Kellogg’s et Mondelēz, le calcul se fait facilement et le snacking peut devenir extrêmement payant. De plus, la collation n’entre pas en concurrence directe avec la restauration, une industrie essentiellement consacrée à l’institution des repas. Un potentiel énorme qui invite plusieurs entreprises agroalimentaires à se redéfinir. D’ailleurs, Kellogg’s ayant vu ses ventes de céréales à déjeuner s’effondrer, se consacre dorénavant entièrement au snacking, un signe des temps nouveaux.

Les consommateurs travaillent plus longtemps, ont moins de temps à consacrer à un régime de repas strict. Une meilleure flexibilité s’avère nécessaire et la collation offre cette possibilité.

Le snacking existe depuis près de 150 ans, au Canada et aux États-Unis. Par le passé, les cochonneries occupaient une grande part de ce marché. Les consommateurs se putréfiaient sans même le savoir. Aujourd’hui, les pois chiches, le houmous, les fruits séchés, bref, la végétalisation de la collation prend une place importante. Certaines entreprises vont vers l’absurde en mélangeant le présent avec le passé. Par exemple, des croustilles au yogourt ont vu le jour au Canada. Pas convaincant comme formule, mais l’avenir nous le dira.

À vrai dire, la popularité du snacking ou de la collation redéfinit peu à peu la façon de diviser une journée. Le déjeuner, le dîner et le souper seront perçus comme des occasions discontinues de casser la croûte qui contreviennent à nos horaires chargés et nous bousculent constamment. Vu sa popularité grandissante, d’ici quelques années, le concept du snacking sera libellé d’une autre façon et deviendra victime de son propre succès.. Il entraînera un style de vie alimentaire auquel un nombre grandissant de consommateurs adhéreront, tout simplement. En mangeant une collation, on dira désormais, enfin on mange.