À LA TABLE DE «BUFFETT» – UNE RÉFLEXION SUR LES STRATÉGIES D’INFLUENCE

Warren Buffett démontre depuis quelques années un intérêt marqué pour le domaine agroalimentaire et plus particulièrement pour ses géants.  Sylvain Charlebois, Professeur en Distribution et politiques agroalimentaires de l’Université Guelph en Ontario, nous propose une brève analyse d’un mouvement qui se dessine.  Les plus petits pourraient ou les moins grands pourraient possiblement en être avantagés, avance-t-il.

«L’arrivée de Buffett dans le monde alimentaire nous porte à croire que l’ère des modèles qui privilégient la gestion de plusieurs marques ou qui plaisent à la masse avec le même produit a peut-être atteint sa limite. Pour l’avenir, il existera toujours quelques conglomérats, mais la venue de Buffett laissera sûrement de la place à d’autres transformateurs, plus petits. Pour ceux-ci, le moment est très opportun», nous dit Sylvain Charlebois

Ces dernières années, Warren Buffett a développé un véritable intérêt pour le domaine agroalimentaire. Après Dairy Queen, Coca Cola, Heinz, Burger King, Tim Horton’s, c’est maintenant au tour de Kraft de devenir la propriété du légendaire investisseur américain. Plusieurs estiment que ce dernier aspire à mener l’un des plus grands empires de la collation rapide au monde. Peut-être, mais les transactions orchestrées par Buffett dans le domaine agroalimentaire ne sont certes pas le fruit du hasard.

D’abord, Buffett aime les marques américaines bien connues et bien gérées. Mais il aime aussi faire des aubaines, et il n’en manque pas dans le secteur agroalimentaire. Dans le cas de Kraft  par contre, il hérite de plusieurs marques qui battent de l’aile. Le Velveeta, Cheez-Whiz, Jell-O et même le fameux macaroni au fromage stagnent. De plus, Buffett a payé un lourd prix pour Kraft, 25 fois la valeur des revenus annuels, un ratio très élevé pour monsieur Buffett.

Alors pourquoi acheter Kraft ? D’abord, Buffet reconnaît que la surface centrale des magasins alimentaires est sur le point de vivre une véritable métamorphose. Le centre d’un magasin alimentaire où l’on retrouve la plupart des marques bien connues est devenu un véritable champ de bataille. Les marques privées des distributeurs tels que le Choix du Président, pour n’en nommer qu’une, prennent de plus en plus de place. L’espace-tablette abordable se fait donc rare.

De plus, l’inflation alimentaire ces dernières années a surtout influé sur les produits en périphérie des magasins : viandes, pâtisseries, pains, fruits et légumes. Bref, les produits périssables qui portent rarement des marques. Le prix des produits que l’on retrouve dans ces sections ont augmenté de plus de 10 %, voire même 20 % dans certains cas durant la dernière année. Enfin, l’inflation en périphérie a probablement atteint un seuil critique et forcera ainsi les épiciers à revoir leur stratégie de prix ailleurs dans le magasin. C’est ainsi qu’il est fort possible que l’on voit l’inflation augmenter au centre des magasins. C’est un phénomène qui risque de s’étendre partout en occident et Buffett le reconnaît assurément. Les marges bénéficiaires risquent d’augmenter pour plusieurs marques durant les prochaines années, un levier financier important pour une firme comme Kraft.

Pour les consommateurs, le prix de ces produits augmentera fatalement, mais la qualité aussi.

Buffett avoue déjà qu’il faut faire le ménage chez Kraft. Il y existe plus d’une cinquantaine de marques et l’entreprise ratisse large. On pourrait même voir certaines marques disparaître, ou même être vendues. Avec une restructuration agressive « à la Buffett », plusieurs usines risquent de fermer, certaines au Canada. Heinz a subi le même sort. Surtout, l’approche de monsieur Buffett pour supporter des marques est plutôt orthodoxe pour le monde alimentaire. Les budgets sont fixés sur le mérite, et non sur les ventes du passé ou sur des prévisions de ventes ultérieures.

L’arrivée de Buffett dans le monde alimentaire nous porte à croire que l’ère des modèles qui privilégient la gestion de plusieurs marques ou qui plaisent à la masse avec le même produit a peut-être atteint sa limite. Pour l’avenir, il existera toujours quelques conglomérats, mais la venue de Buffett laissera sûrement de la place à d’autres transformateurs, plus petits. Pour ceux-ci, le moment est très opportun.

Les distributeurs tels que Provigo-Loblaw, IGA-Sobeys et Métro reconnaissent depuis quelque temps que le marché n’est plus aussi homogène qu’il était. Un nombre grandissant de consommateurs recherchent autre chose que des marques alimentaires. Tous démontrent une certaine ouverture envers les produits locaux. Même, les distributeurs octroient une importance accrue envers les fournisseurs de moins grande envergure. L’offre sera toujours davantage régionalisée et adaptée à une demande qui diffère d’une région à l’autre. Il existera de plus en plus d’opportunités pour nos petits transformateurs qui ont toujours eu de la difficulté à se frayer un chemin sur nos tablettes d’épicerie.

Dr. Sylvain Charlebois

Professor in Food Distribution and Policy / Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires College of Business and Economics / Collège en Management et Études Économiques

www.uoguelph.ca/business

Macdonald Institute Building, Room 201

University of Guelph | Guelph, ON N1G 2W1