J’BOIS MON SOYA COMME ÇA ME PLAÎT!

La consommation de lait au Canada ne cesse de diminuer. D’ailleurs, Statistique Canada publiait récemment le résultat des ventes au détail de 2014 pour le lait et la crème. La consommation canadienne de lait se situe aux alentours de 74 litres par personne, soit une diminution de 18 % depuis 1995. Au Québec, étonnamment, c’est pire. Chaque Québécois consommait en moyenne 94 litres de lait en 1995, puis 72 litres en 2014, soit une diminution spectaculaire de 22,6 %. Par contre, la consommation de crème a augmenté légèrement, mais la différence est négligeable en termes de volume comparativement à celle du lait. À part continuer de nous répéter qu’il faut boire nos portions quotidiennes de lait, nul ne semble avoir une stratégie astucieuse pour renverser cette tendance qui dure depuis un bon moment.

En considérant les légendaires campagnes de lait au Québec depuis quelques décennies, la piètre performance de l’« or blanc » peut en étonner plusieurs. Du « Moi, j’bois mon lait comme ça me plaît », en passant par le « Jamais sans mon lait », jusqu’à « Un verre de lait c’est bien, mais deux c’est mieux », ces stratégies novatrices, voire même audacieuses, ont toutes été louangées par plusieurs experts de la publicité. Certaines campagnes, toujours financées par les producteurs de lait du Québec, ont même atteint un taux de satisfaction de 98 %, du jamais vu. Or, malgré les quelque 20 millions de dollars investis chaque année en publicité uniquement au Québec (une somme colossale pour un tel marché), la consommation de lait en général diminue toujours. Ailleurs au Canada, pratiquement avec les mêmes résultats, les Dairy Farmers of Canada dépensent plus de 80 millions de dollars. C’est beaucoup d’argent, même si la consommation de lait par personne s’essouffle, la stratégie ne change pratiquement pas d’une année à l’autre.

Bien sûr, certaines forces démographiques tiennent tête aux campagnes de lait au Québec. Comme ailleurs au Canada, plusieurs personnes qui immigrent au pays ont une perspective différente du lait. Au sein de pays émergents, le lait est souvent perçu comme un produit de luxe et sa consommation ne fait pas partie des rituels culinaires des gens qui viennent vivre chez nous. Évidemment, d’une génération à l’autre ces traditions se perpétuent, alors plusieurs familles issues de l’immigration n’achètent pas autant de lait que celles qui suivent les directives de notre vaillant guide alimentaire canadien. Le vieillissement de la population y est aussi pour quelque chose. Ce n’est pas un secret que le Québec vieillit plus rapidement que le reste du Canada. D’ailleurs, d’ici 2030, plus du tiers de la population québécoise aura 56 ans ou plus. Et puisque les personnes âgées boivent beaucoup moins de lait, si rien n’est fait, la consommation de lait par habitant ne pourra faire autrement que de décroître, encore.

Bien entendu, le nombre grandissant d’intolérances au lactose et de consommateurs qui optent désormais pour une diète végétalienne pour des raisons de traitement étique animal s’ajoute à tout cela. Depuis quelques années, plusieurs choisissent le soya, les amandes et même le riz pour remplacer les éléments nutritionnels que l’on retrouve dans le lait.

Il va sans dire que la filière laitière est d’une importance capitale pour l’économie agricole du Québec et les résultats nous démontrent qu’il n’est plus suffisant de simplement rappeler aux Québécois de boire du lait. Avec un peu d’imagination, et surtout couplé d’innovation pan-chaîne de valeur, une stratégie adaptée aux styles de vie des consommateurs modernes est de mise. Aux États-Unis, par exemple, un produit qui vient de voir le jour est considéré par certains comme le prochain Gatorade. Fait à base de lait, le Howling Cow, développé par l’Université de la Caroline du Nord, tente d’attirer une génération de jeunes adultes qui ont délaissé le lait.

Il est probable qu’au cours des dernières années, les campagnes populaires aient empêché la consommation par habitant de s’estomper davantage au Québec. Peut-être, mais pour la survie des producteurs laitiers, il est possiblement temps d’investir moins en publicité et davantage dans le développement de produits qui sauront animer un marché en transition.

 

Dr. Sylvain Charlebois

Professor, Food Institute at the University of Guelph Professeur, Food Institute de l’Université de Guelph

 

Professor in Food Distribution and Policy / Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires College of Business and Economics / Collège en Management et Études Économiques

 

www.uoguelph.ca/business

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