« Ni la science ni l’État ne peut chasser les colorants artificiels des assiettes, cela revient au consommateur, et c’est tant mieux. »
General Mills a annoncé qu’elle retirera tous les colorants artificiels de ses produits vendus aux États-Unis. Cette déclaration survient quelques heures à peine après un engagement similaire de la part de Kraft Heinz, un autre géant de l’alimentation. Les deux entreprises se donnent deux ans pour effectuer la transition, un échéancier réaliste, sachant que reformuler un produit alimentaire peut s’avérer aussi complexe que la conception d’un nouveau véhicule. Il faut généralement compter de deux à trois ans pour tester, approuver et intégrer de nouveaux ingrédients à grande échelle.
Dans cette démarche, il faut saluer le caractère volontaire d’effectuer ces changements, avant même l’arrivée d’une interdiction gouvernementale ou d’un décret réglementaire. Les entreprises réagissent tout simplement aux pressions du marché, des pressions enracinées dans une demande croissante pour des étiquettes « simplifiées ».
Certains attribuent cette dynamique à l’initiative « Make America Healthy Again » (MAHA) de Robert F. Kennedy Jr. Bien que mieux connu pour ses prises de position controversées sur la vaccination, RFK Jr défend depuis longtemps une naturalisation des systèmes alimentaires. À titre de secrétaire à la Santé, il a désormais la possibilité d’influencer à la fois les politiques publiques et les perceptions collectives, accélérant ainsi le recul des ingrédients artificiels.
Une partie de ce mouvement repose sur des données scientifiques. Les colorants alimentaires artificiels comme le Rouge Allura AC (Rouge 40) ou le Jaune Tartrazine (Jaune 5), autorisés par les autorités réglementaires, sont jugés sûrs à faibles doses. Toutefois, des inquiétudes persistent, notamment chez les parents et les professionnels de la santé pédiatrique. Des études émergentes suggèrent un lien entre certains colorants et des troubles du comportement, comme l’hyperactivité chez les enfants. L’Europe a déjà imposé des exigences d’étiquetage plus strictes et favorisé les substituts naturels. L’Amérique du Nord, en revanche, reste relativement permissive.
Mais disons-le clairement : cette transition est d’abord et avant tout guidée par des considérations politiques et des impératifs d’image. Depuis des années, les consommateurs expriment un malaise au sujet des additifs artificiels. Les grandes entreprises de produits de grande consommation, comme General Mills et Kraft Heinz, ont bien compris que les attentes en matière d’étiquetage simplifié ne cadrent plus dans la marginalité : elles deviennent la norme.
Les retombées économiques pourraient s’avérer importantes. Lorsque plusieurs acteurs majeurs du secteur bougent en même temps, l’économie des colorants naturels n’a d’autre choix que de se transformer rapidement. À ce jour, des substituts comme le jus de betterave, le curcuma ou l’extrait de carotte coûtent plus cher et offrent moins de stabilité que les colorants synthétiques. Mais avec la montée en flèche de la demande et l’adaptation des chaînes d’approvisionnement, ces coûts pourraient rapidement diminuer. Et surtout, lorsque l’ensemble du marché évolue simultanément, les règles du jeu deviennent équitables : la crainte de perdre des parts au profit d’un concurrent misant sur des couleurs artificielles s’estompe.
Le Canada en ressentira inévitablement les répercussions. De nombreux produits sur les tablettes canadiennes proviennent d’usines américaines. Il est peu probable que les fabricants maintiennent des formulations distinctes pour un marché aussi modeste que le nôtre. Par conséquent, les consommateurs canadiens verront davantage de produits sans colorants artificiels, et ce, indépendamment des décisions d’Ottawa.
Cela dit, Santé Canada pourrait décider d’intervenir. Les fabricants canadiens qui exportent vers les États-Unis devront se conformer à ces nouvelles normes implicites si les détaillants américains commencent à éliminer les produits contenant des colorants artificiels. Le Canada encadre déjà l’utilisation de ces colorants par des limites de dosage et des exigences d’étiquetage, mais l’opinion publique devient beaucoup plus sensible à la question.
Pour les consommateurs d’ici qui espèrent la disparition des colorants artificiels dans leur assiette, le changement est imminent. Et fort heureusement, cette transition, menée par l’industrie elle-même, ne devrait pas entraîner une hausse des prix alimentaires. Elle pourrait même favoriser une plus grande transparence, stimuler l’innovation et encourager des choix plus sains, sans alourdir la facture d’épicerie.
Dr. Sylvain Charlebois/Professor/Professeur Titulaire
Senior Director/Directeur Principal
AGRI-FOOD ANALYTICS LAB/LABORATOIRE DE SCIENCES ANALYTIQUES EN AGROALIMENTAIRE
CO-HOST, The Food Professor Podcast