L’agriculture et le budget fédéral

Faire moins, avec moins

Le premier budget fédéral sous la bannière d’un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa a certes fait sa marque, surtout en agriculture. Le ministre Jim Flaherty a annoncé qu’Ottawa scindera le portefeuille d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) de 310 $ millions sur 3 ans, dont 17 $ millions au cours de cette année et 168 $ millions en 2013. C’est l’un des ministères qui a été le plus durement frappé par le dernier budget fédéral. Vraisemblablement, l’Agence canadienne des inspections des aliments (ACIA) écopera de coupes importantes. À l’instar de quelques incidents majeurs ces dernières années, ces nouvelles mesures en inquiètent plusieurs. Outre le retrait de notre « cenne noire » bien aimée, le budget fédéral n’a pas grand-chose d’excitant. Mais pour l’agriculture et l’alimentation, le budget de 2012 marquera le début d’une nouvelle ère pour le Canada.  

D’abord, la période où l’intervention systématique de l’état durant une « crise » associée à l’industrie est maintenant révolue. D’ailleurs, l’épopée des artisans fromagers québécois avec la listeria en 2009 nous a démontré que l’état a parfois l’habitude d’outrepasser sa responsabilité de moraliste public. C’est une aventure qui a coûté très cher aux contribuables québécois et à l’industrie. La situation qui perturbe l’abattoir Levinoff-Colbex, un désastre financier soutenu en partie par l’état, est un autre exemple d’erreur stratégique de taille. En acceptant de miser davantage sur le commerce international, ce que le budget fédéral propose de façon claire et précise, c’est qu’en étant un état aux moyens amoindris il faut forcément redéfinir la façon de préserver sa souveraineté alimentaire. L’atteinte d’une croissance économique continue via son agriculture tout en soutenant une souveraineté alimentaire durable n’est pas évidente. Chose certaine, monsieur Flaherty croit que la solution ne doit pas venir de l’état. Au lieu de créer de nouveaux problèmes ou d’en amplifier d’autres, le budget fédéral suggère que l’état doit d’abord offrir à l’industrie les outils nécessaires pour mieux gérer l’incertitude et les risques systémiques.

La compétitivité de l’industrie agroalimentaire au Canada et au Québec est mise à mal par le durcissement des réglementations de tout ordre ces dernières années. L’élaboration de nouvelles politiques agroalimentaires par tâtonnement a souvent dominé notre approche stratégique dans le domaine agroalimentaire ces dernières années. En salubrité alimentaire par exemple, Ottawa dépense maintenant plus de 400 $ millions par année sur notre système canadien. Pour un gouvernement fédéral, cette somme par personne dépasse largement l’ensemble des autres pays industrialisés. Le cumul des crises (la vache folle, épinards, botulisme, listeria, etc.) nous a menés à un pot-pourri de politiques sans homogénéité. Entre temps, l’ACIA peine à établir un partenariat efficace avec l’industrie et la rigueur des inspections varie énormément d’une région à l’autre du pays. Puisque son budget sera réduit de façon significative, l’heure est maintenant venue pour l’agence de réviser ses pratiques afin d’améliorer sa pertinence stratégique et économique, sans compromettre la santé des consommateurs bien sûr.

Le budget Flaherty devient ni plus ni moins un préambule à un agenda ambitieux axé sur l’exportation agroalimentaire. Vu les défis démographiques que l’on connaît tous, il est clair que l’exportation est un enjeu majeur pour dynamiser la croissance du secteur agroalimentaire au pays. Renforcer notre capacité à exporter, notamment dans nos secteurs émérites comme le porc, le bœuf, les céréales, et les produits à valeur ajoutée sera une priorité pour le gouvernement Harper. En effet, le ministre de l’Agriculture, Gerry Ritz, s’est rendu en Asie récemment avec Harper pour lancer les négociations en vue de conclure un accord de partenariat économique avec quelques pays, dont le Japon et la Corée du Sud. Pour conclure ces négociations avec succès, le Canada va devoir faire des compromis en matière de tarification frontalière pour certains produits alimentaires, quotas de productions et subventions agricoles.

Le nouveau modèle en agriculture dicte visiblement de faire moins avec moins et de laisser l’industrie faire son travail. La population vieillit, les coûts pour soutenir notre système de santé augmentent. Les plus jeunes travailleurs paieront pour la retraite de nos aînés, et ainsi va la vie. Entre temps, l’accès à une saine alimentation doit demeurer une option financièrement accessible pour nous tous. Dégrader le rôle de l’état au sein du vaste appareillage agroalimentaire s’inscrit dans une logique fiscale rationnelle et nécessaire.

 

Par Sylvain Charlebois,

Chercheur en distribution et politiques agroalimentaires Université de Guelph