LE SPECTRE DE LA DÉFLATION ALIMENTAIRE

« Le bas taux d’inflation alimentaire n’affecte pas seulement la transformation alimentaire. En aval, les détaillants alimentaires conjuguent avec un consommateur à la recherche d’aubaines. L’année 2013 a été marquée par une véritable guerre de prix…Tout compte fait, l’année 2014 s’annonce bonne pour les consommateurs moins nantis puisque les prix alimentaires augmenteront à peine. »

                                                         Sylvain Charlebois, Université de Guelph

Pendant que les détaillants alimentaires agonisent, les transformateurs au pays souffrent.  Coup sur coup, deux tuiles sont tombées sur l’industrie récemment. D’abord, Heinz annonçait la fermeture de son usine située à Leamington Ontario en 2014, mettant ainsi à pied plus de 700 personnes. Cette décision sera un coup dur pour les 45 producteurs de tomates du coin qui, depuis quelques années, étaient forcés de vendre l’ensemble de leur récolte à Heinz uniquement. Quelques jours plus tard, c’était au tour de Kellogg’s d’annoncer son intention de fermer son usine de London Ontario où les variétés de Corn Flakes et de Raisin Bran étaient fabriquées. Puisque les consommateurs boudent le bol de céréales ces temps-ci, Kellogg’s croyait bon de passer à autre chose. Plus de 500 personnes perdront ainsi leur emploi. Bref, selon toutes vraisemblances, nos Corn Flakes proviendront désormais de la Thaïlande. Conditions planétaires quasi déflationnistes obligent, les entreprises agroalimentaires de grande envergure consolident leurs actifs pour mieux gérer leurs coûts de production. Malgré le cumul de licenciements effectués par ces géants américains de l’agroalimentaire, il est vraiment difficile de les blâmer.

D’abord, en transformation alimentaire au Canada, nous payons pour des années d’inertie stratégique. Durant les années Chrétien, le dollar canadien se maintenait à peine autour de 0,70 $ du dollar américain, créant ainsi une illusion que tout allait pour le mieux. Pendant ce temps, les Américains innovaient et investissaient davantage permettant à leurs usines de transformation d’accéder à des niveaux de productivité inouïs. D’ailleurs, depuis 2000, il y a une seule année où les investissements dans le secteur de la transformation alimentaire outrepassaient la dépréciation des effectifs, et c’était en 2002. Pendant ce temps, aux États-Unis, les investissements dépassent copieusement le niveau de dépréciation des infrastructures depuis des années. Plusieurs pointent du doigt les salaires exorbitants payés aux travailleurs dans le secteur. Certains employés sont rémunérés entre 27 $ et 30 $ l’heure. En recensant mondialement les conditions salariales du secteur, les traitements canadiens figurent parmi les plus généreux au monde. Malgré les critiques, là n’est pas le problème ; nos salariés méritent ces conditions, pourvu que la productivité soit au rendez-vous et c’est précisément là où le bât blesse. Le secteur a grandement besoin d’un accès accru à une technologie plus performante et plus flexible afin de s’adapter rapidement à la fragmentation de la demande alimentaire. Le consommateur contemporain, difficile à suivre,  s’intéresse aux produits sans gluten, au bien-être animal, au commerce équitable, aux aliments fonctionnels, et encore, pour une multitude de raisons, à tort ou à raison. Nos usines doivent apprendre à mieux synchroniser leurs activités avec un marché en pleine transition.

Le bas taux d’inflation alimentaire n’affecte pas seulement la transformation alimentaire. En aval, les détaillants alimentaires conjuguent avec un consommateur à la recherche d’aubaines. L’année 2013 a été marquée par une véritable guerre de prix. Avec l’arrivée de Target sur le marché, puis les stratégies agressives de Wal-Mart et Costco, les choses se compliquent pour les trois grands de l’alimentation, soit Loblaw, Sobeys et Métro. En 2013, plus d’une demi-douzaine de catégories de produits alimentaires ont vu leur prix diminuer, notons entre autres, le café, les noix, les pâtes, plusieurs produits laitiers, les légumes surgelés et encore. L’arme de prédilection au détail demeurera toujours les produits d’appel (loss leaders). Ces produits, vendus à perte dans des racoins de magasin, attirent efficacement les épargnants tout en les encourageant à acheter des produits de marque privée. Par contre, ces produits diminuent les marges bénéficiaires, et l’ensemble du secteur peine à répondre aux attentes de leurs actionnaires. Pour la seule bannière québécoise Métro, l’année 2014 s’annonce particulièrement importante. Un des grands joueurs en alimentation a disparu en 2013, Safeway acheté par Sobeys, et nous pourrions voir un autre détaillant disparaître en 2014.

inflation

Tout compte fait, l’année 2014 s’annonce bonne pour les consommateurs moins nantis puisque les prix alimentaires augmenteront à peine. C’est certes une bonne nouvelle pour plusieurs. Compte tenu du bas taux d’inflation, ceci peut durer pour un bon moment encore. Par contre, nous sommes toujours à un désastre naturel près de voir augmenter les prix de façon significative, alors il faut en profiter pendant que cela dure.

Dr. Sylvain Charlebois

Professor/Professeur Titulaire
Food Distribution and Policy/
Distribution et Politiques Agroalimentaires

Associate Dean/Vice Doyen

College of Management and Economics/
Collège en Management et Études Écononomiques

University of Guelph/Université de Guelph

Office of the Dean
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