Flavora, une histoire de yogourt et de retour à la terre

Qu’on vienne d’un milieu urbain ou rural, personne n’y échappe : on doit manger trois fois par jour. Le virage à 180 degrés opéré par Annie Viens et son mari Maxime Paré est indissociable de cette évidence. En 2016, le couple revenait dans sa région natale estrienne pour fonder Flavora, une PME spécialisée dans le yogourt au lait de brebis. Aujourd’hui, avec un des trois prestigieux prix DUX Mieux Manger Mieux Vivre remis en début d’année et quelques autres en mains, les producteurs ovins font la fierté de leur région.   

« On a migré vers Montréal pour nos études, on y a passé 10 ans, raconte Annie Viens. Maxime étudiait en agronomie, moi en comptabilité. Autant c’était clair qu’on voulait se partir en affaires ensemble, autant pour Maxime ça passait par un retour à la terre. » 

Originaire de Coaticook, Annie a grandi au sein d’une famille de journaliers. À sa sortie d’université, elle savait déjà qu’elle ne voulait pas de la vie de bureau. « Avec Maxime, on voulait se lancer dans quelque chose qui nous intéressait tous les deux. À force de côtoyer surtout des gens de la terre avec lui, j’ai commencé à m’intéresser à l’agriculture et comprendre l’importance et la noblesse de ce métier. » 

Un tour du monde qui raconte pourquoi manger chez soi 

Puis il y a eu les voyages. On dit qu’ils forment la jeunesse. Ils furent particulièrement déterminants pour Annie et Maxime. « Avant de se lancer, on est allés voir ailleurs, toujours en se nourrissant de la cuisine de l’habitant, indique Annie. On a voyagé chez nous, en Europe et au Vietnam, entre autres. En Asie, on a constaté comment le besoin de manger et la culture alimentaire rythment la vie. Par exemple, en janvier, on ramasse le bois en prévision de la cuisson des repas sur le feu dans la saison qui suit. Ça nous a fait réfléchir sur la notion locale de l’alimentation et l’importance de l’autonomie alimentaire. » 

Trouver son créneau 

À Compton, Maxime représente la troisième génération de Paré cultivateurs. Son grand-père est producteur laitier et son père élève des porcs. À Maxime et Annie de se trouver un créneau.  

« On voulait un élevage, et c’était déjà exclu qu’on se lance dans les quotas, comme avec les vaches, le poulet et les œufs, explique Annie Viens. Il restait la chèvre ou la brebis. Pour se faire une tête, on a visité des fermes, de l’Ontario, du Québec, et même de l’Île-du-Prince-Édouard. » 

La brebis a conquis le cœur du couple. « Notre premier réflexe a été de faire du fromage, indique Annie. Mais il y avait déjà d’excellents produits sur le marché, comme ceux de la fromagerie Nouvelle-France ou de la Moutonnière. D’où l’idée du yogourt. » 

Déçue de ce qu’elle lisait sur certaines étiquettes commerciales, Annie Viens veut développer des yogourts créatifs avec une liste d’ingrédients simple. « On a vu une occasion pour le yogourt grec et de nouvelles saveurs. Traditionnellement ces yogourts sont fermentés en pot. Nous les fermentons en cuve, ce qui donne une texture et un parfum très différents ! » 

Reste que, avant que les résidents et touristes des Cantons-de-l’Est fassent le détour pour s’arracher leur fameux yogourt au gâteau aux carottes, il a fallu un bon deux ans de développement et beaucoup d’adaptation. D’autant plus qu’entre-temps, ils sont devenus parents de William et Livia. Le démarrage ne fut pas de tout repos !  

Après la paperasse et la formation, le tandem a entamé les investissements avec la rénovation d’un bâtiment de ferme à l’abandon sur les terres du père de Maxime et la reconversion de leur garage en usine de transformation. « On a pu se lancer avec un investissement relativement modeste, de 200 000 $. », précise la cofondatrice de Flavora. 

Le défi de la brebis 

Le plus complexe restait à venir : le vivant. « Ni Maxime ni moi nous connaissions en brebis, rappelle Annie. À notre première traite, elles ne savaient pas où se placer et, nous, on n’était pas plus habiles ! On a beaucoup ri. Pauvres bêtes ! » 

Pour fonder leur troupeau, ils ont acheté à des éleveurs réputés trente agnelles – des jeunes brebis qui n’ont pas encore mis bas – et dix brebis. Le défi était de rassembler des spécimens exempts de maedi visna, une maladie propre aux ovins, ce qui les a forcés à composer avec de longs délais de réservation.  

Une fois l’élevage démarré, l’ampleur de la tâche reste entière. « Même si Maxime venait du milieu agricole, il testait plein de choses à découvrir, de la reproduction aux soins spécifiques aux mamelles des brebis, sans oublier les maux qui les affectent en particulier. Juste comprendre la traite, être en symbiose avec les animaux, c’était quelque chose. »  

Aujourd’hui, Flavora est en pleine croissance et transforme grosso modo 20 000 litres de lait chaque année. Une collaboration récente avec une nouvelle éleveuse de brebis permettra d’augmenter ce volume. Ils ont également signé une entente avec le distributeur Ligne Locale de Sherbrooke qui pourrait étendre leur marché à la Montérégie, voire Montréal.  

Meilleur avant ? Non…Meilleur sur place !  

« Notre ADN, reste le marché local. Une agriculture et une production de proximité, qui limite à des circuits courts de distribution », précise Annie. Les yogourts Flavora, comme bien d’autres produits, sont des attractions non négligeables pour le tourisme agroalimentaire. « Je veux qu’on fasse partie de ce circuit, insiste l’entrepreneure. J’adore la fromagerie La Station à Compton ou la laiterie artisanale La Pinte à Ayers Cliff. On est fiers d’être à leurs côtés. » 

Annie Viens s’enorgueillit d’ailleurs d’être des Comptonales, cet événement qui, chaque Action-de-Grâce, valorise et ouvre les yeux sur les productions issues des Cantons de l’Est et la belle communauté qui s’y adonnent.  

« Il y a cinq ans, Maxime et moi on a eu une révélation, fait-elle voir. Comme beaucoup de jeunes qui viennent de régions rurales, on a rêvé de la grande ville. Mais en voyant de plus en plus de citadins prendre leurs vacances chez nous, on s’est dit que la région doit dégager un réel bien-être et qu’il y a forcément des choses à y faire ! Et, effectivement, on a bien trouvé à s’occuper ! »