L’ÉCHEC D’HAWAII: UNE BONNE NOUVELLE POUR HARPER

 » Pour le gouvernement Harper, qui vient tout juste de déclencher une élection fédérale, le retard d’une entente avec les autres pays partenaires est franchement de bon augure. Au lieu de vivre une longue campagne en justifiant un possible changement à la gestion de l’offre, le gouvernement peut plaider en jouant la carte du défenseur ultime du régime actuel. Pour l’Ontario, et surtout pour le Québec, un sursis n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour un gouvernement qui tire de l’arrière selon certains sondages. »

Pour l’accord de libre-échange transpacifique entre le Canada, les États-Unis et dix autres pays, ce n’est que partie remise. Les négociations pour conclure l’entente historique à Hawaii n’ont pas abouti. Même si les parties prenantes continueront leur travail au cours des mois à venir, aucune date n’a été fixée pour une prochaine réunion d’envergure. Bien sûr, quelques points demeurent en litige, dont le controversé marché laitier. L’Australie, la Nouvelle-Zélande et surtout les États-Unis accusent le Canada de surprotection à l’égard de sa filière laitière. Pour l’instant, les producteurs assujettis aux quotas peuvent respirer tandis que les producteurs bovins et porcins exaspèrent. Mais malgré l’échec d’Hawaii, les pourparlers semblent avoir permis à certains de réfléchir à l’agriculture que nous avons au Canada, et c’est tant mieux.

Le Canada a toujours maintenu une position ferme à l’égard de son système de la gestion de l’offre, peu importe le gouvernement en place. Rappelons que le système de gestion de l’offre canadien comprend trois principes : les quotas de production obligatoires, le système de fixation des prix à la ferme, et les tarifs à l’importation. Mais avec le cumul des années, le Canada est à court d’arguments pour défendre sa position et c’est vraiment la première fois que ce genre de négociations multilatérales menace à ce point les vertus de notre système de quotas. Depuis le printemps dernier, avec la fin des quotas laitiers européens, le Canada est maintenant le seul pays industrialisé au monde à maintenir un système de quotas, le seul. Pendant que le Canada s’enlise, le monde évolue.

Tout cela nous rappelle bien sûr les rondes de négociations multilatérales de Doha, qui n’avaient pas donné grand-chose après une dizaine d’années d’effort. Menées par l’Organisation mondiale du commerce, ces négociations sont au beau fixe depuis janvier 2014. Mais dans le cas du partenariat transpacifique, les enjeux sont différents. L’entente permettrait aux États-Unis de mieux contrôler une zone économique en émergence, le corridor de l’Asie-Pacifique. Puisque l’accord exclut la Chine, l’entente offre une chance en or aux Américains de faire des gains substantiels aux profits des Chinois. Une entente est donc probable quoique les chances d’une conclusion avant 2016 soient maintenant compromises depuis l’échec de la semaine dernière.

Chez nous, pour le gouvernement Harper, qui vient tout juste de déclencher une élection fédérale, le retard d’une entente avec les autres pays partenaires est franchement de bon augure. Au lieu de vivre une longue campagne en justifiant un possible changement à la gestion de l’offre, le gouvernement peut plaider en jouant la carte du défenseur ultime du régime actuel. Pour l’Ontario, et surtout pour le Québec, un sursis n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour un gouvernement qui tire de l’arrière selon certains sondages.

Mais plus important encore, espérons que l’agriculture prenne sa juste place durant une élection fédérale. Souvent, à moins d’un rappel alimentaire majeur ou d’une crise quelconque, le domaine agroalimentaire passe souvent aux oubliettes. La campagne électorale actuelle offre une chance inouïe aux Canadiens de mieux s’informer sur les enjeux qui entourent la gestion de l’offre. Les consommateurs font confiance aux agriculteurs, mais leurs perspectives ne représentent d’aucune façon la vision de l’ensemble d’une filière majeure pour notre économie agroalimentaire. D’ailleurs, une étude sur le sujet démontrait que plus de 80 % des Canadiens comprennent mal le mécanisme de la gestion de l’offre, et apprécient encore moins le rôle des quotas et de la Commission canadienne du lait à Ottawa. Et pourtant, les décisions des commissaires affectent l’ensemble de la population.

Souhaitons que les prochains mois permettent aux Canadiens de mieux comprendre les alternatives d’un système qui freine le développement économique de nos régions. C’est à nous tous de choisir et non pas seulement aux producteurs laitiers, tous millionnaires grâce au système de quotas, faut-il le rappeler.

Dr. Sylvain Charlebois

Professor, Food Institute at the University of Guelph Professeur, Food Institute de l’Université de Guelph