« Le prix des viandes n’entraîne pas un virage végane : il force plutôt une réinvention discrète et pragmatique de nos assiettes. »
Le dernier taux d’inflation alimentaire rapporté par Statistique Canada se situait à 3,4 %. Au sein du G7, il s’inscrit comme l’un des plus élevés à l’heure actuelle. Mais si l’on retire la viande de l’équation, l’inflation alimentaire canadienne tombe entre 2,0 % et 2,2 %, un niveau nettement plus acceptable pour les ménages québécois et canadiens.
Malheureusement, les prix ne diminueront pas de sitôt, du moins pas celui du bœuf. Selon plusieurs analystes, la normalisation des prix ne surviendra pas avant l’été 2027. La production bovine au Canada et aux États-Unis reste anémique depuis près de 18 mois, principalement à cause de coûts de production en hausse, de départs à la retraite et d’un manque de relève. Ainsi, la filière peine à retrouver ses performances d’antan. Résultat : la viande hachée, pourtant le produit le plus abordable, a grimpé de près de 20 % en un an, selon Statistique Canada. Plusieurs autres coupes suivent la même trajectoire.
Pire encore : il existe à Ottawa un comité consultatif sur les importations de bœuf dont pratiquement personne n’a entendu parler. On y retrouve des producteurs… mais aussi deux géants de la transformation bovine, JBS et Cargill, deux entreprises privées étrangères. Or, selon certaines sources, ce comité ne se serait pas réuni depuis 2015. Pendant que les États-Unis enquêtent sur les prix et permettent à une plus grande quantité de bœuf d’entrer sur leur marché, plusieurs se demandent pourquoi Ottawa demeure si silencieux.
Est-il possible qu’Ottawa reste tout simplement indifférent à la flambée du prix du bœuf ?
Pendant ce temps, puisque de plus en plus de consommateurs boudent le bœuf, le poulet prend la relève, au point de tomber lui aussi sous pression. Le prix du poulet entier a bondi de 23 % au cours des 12 derniers mois. Selon l’Association canadienne des importateurs et exportateurs, qui s’appuie sur les données d’Affaires mondiales Canada, nous importons des volumes records de poulet des États-Unis, du Chili et d’ailleurs. Les importations américaines ont même augmenté de près de 200 %. Pas exactement le genre de résultat dont les producteurs canadiens souhaitent se vanter dans le contexte géopolitique actuel.
La bonne nouvelle : les choses devraient se replacer d’ici mars 2026, grâce à une hausse des quotas de production. Contrairement au bœuf, le cycle de production du poulet permet une adaptation beaucoup plus rapide.
Et puis il y a la dinde, incontournable dans le temps des Fêtes. On n’anticipe pas de véritable pénurie cette année, mais le marché montre des signes de tension. Malgré la gestion de l’offre, la taille des troupeaux a diminué et le secteur demeure vulnérable à l’influenza aviaire. Les consommateurs devraient trouver de la dinde pour Noël, mais les prix seront plus élevés et le choix, possiblement plus limité, surtout à l’approche de la fin de l’année.
Tout cela illustre la complexité et la cyclicité de la production animale.
Les « orphelins de la protéine » se multiplient et l’industrie l’a bien compris. On ajoute désormais des protéines partout ; dans le pain, le café, et même les Pop-Tarts. Les entreprises savent que les consommateurs cherchent activement des sources de protéines au-delà du comptoir des viandes.
Évolution des régimes alimentaires au Canada (2024–2025)

Malgré les prix, la récente édition de l’Indice des sentiments alimentaires de notre Laboratoire, publiée la semaine dernière, révèle que la majorité des Canadiens demeurent omnivores. Certes, cette proportion recule de 67,6 % à 60,7 % depuis l’automne 2024, mais l’omnivorisme reste de loin le choix dominant. Les régimes alternatifs comme le végétarisme, le véganisme ou le pescatarisme stagnent ou progressent à peine, chacun oscillant entre 2 % et 7 %. À l’inverse, certains régimes plus flexibles, comme le flexitarisme ou le paléo, gagnent du terrain. Les Canadiens préfèrent réduire leur consommation de viande sans l’abandonner complètement.
En bref, le prix des viandes ne pousse pas les consommateurs vers le véganisme ou le végétarisme, mais certainement vers des diètes plus diversifiées.
Dr. Sylvain Charlebois/Professor/Professeur Titulaire
Senior Director/Directeur Principal
AGRI-FOOD ANALYTICS LAB/LABORATOIRE DE SCIENCES ANALYTIQUES EN AGROALIMENTAIRE
CO-HOST, The Food Professor Podcast

