Profits des bannières : Oubliez les 6 milliards

« Un économiste a déclaré cette semaine que les épiceries généreraient des bénéfices dépassant 6 milliards de dollars cette année, un record. Étonnamment, aucune question n’a été posée sur la source de ces données. Pas une seule. »

Lorsqu’il s’agit de choisir le non-scandale le plus significatif de 2023, la campagne de « peur sur les profits des distributeurs alimentaires » est de loin le grand gagnant absolu. Les politiciens, dont Paul St-Pierre Plamondon du Parti Québécois, et même certains économistes, ont convaincu bon nombre de personnes que les épiceries canadiennes ont profité du récent cycle inflationniste pour réaliser des bénéfices injustifiables. Malgré des données convaincantes et de nombreux rapports allant à l’encontre de cette idée, y compris ceux de la Banque du Canada et du Bureau de la concurrence, de nombreux Canadiens restent convaincus qu’il y a de l’abus.

Jim Stanford, un économiste connu pour ses commentaires sur les prix alimentaires, est le dernier exemple de la manière dont les Canadiens semblent adopter des arguments contre les entreprises alimentaires sans remettre en question leur validité. Stanford a récemment affirmé que les bénéfices nets des épiceries en 2023 dépasseraient pour la première fois 6 milliards de dollars, une déclaration qui a attiré une attention considérable et suscité la colère des politiciens et de nombreux Canadiens.

Il est important de noter que les chiffres fournis proviennent de Statistique Canada, plutôt que des états financiers des entreprises, ce qui serait sans doute plus fiable. La Table 33-10-0225-01 de Statistique Canada, qui a été utilisée pour l’argument des 6 milliards de dollars, peut inclure des dépanneurs, des magasins d’alimentation spécialisés et non seulement les grandes épiceries.

En fait, les bénéfices nets ne sont pas une mesure appropriée à considérer à moins que l’intention soit de sensationnaliser la question du profit abusif. Pour évaluer si une chaîne d’épicerie abuse réellement, on peut examiner les marges bénéficiaires brutes, calculées comme les revenus moins le coût des marchandises vendues. Il convient de mentionner que les marges bénéficiaires brutes de nos principales chaînes d’épicerie sont restées relativement stables au cours des cinq dernières années, selon les données de leurs rapports financiers (voir le graphique). Depuis 2019, seule Métro a connu une augmentation de deux pour cent, tandis que les autres changements étaient minimes, à peine supérieurs à un pour cent.

Maintenant, examinons également les bénéfices, un sujet que les politiciens mettent souvent en avant. Les bénéfices nets combinés des trois principales chaînes d’épiceries canadiennes (Loblaw, Sobeys et Metro) au cours des 12 derniers mois se sont élevés à 3,808 milliards de dollars. Il est très peu probable que ce chiffre dépasse 6 milliards de dollars cette année, comme cela a été affirmé plus tôt cette semaine. Pour atteindre de tels bénéfices, ces chaînes ont dû atteindre des revenus combinés totalisant 110,6 milliards de dollars au cours de la dernière année. Les bénéfices combinés ne représentent qu’environ 3,4 %. De plus, ce chiffre inclut des articles non alimentaires tels que les cosmétiques et les médicaments sur ordonnance, qui ont généralement des marges bénéficiaires plus élevées.

Il n’y a rien d’intrinsèquement mal à réaliser des bénéfices, et dans une économie fonctionnelle, les entreprises devraient déclarer des bénéfices annuels croissants en raison de l’inflation. Les salaires des gens augmentent, les prix des biens et services augmentent, et naturellement, les bénéfices nets augmentent en termes de dollars. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser les pourcentages sur une période plus longue pour une évaluation plus complète.

En 2023, les émotions semblent avoir éclipsé une compréhension correcte du monde des affaires alimentaires et de l’économie de la chaîne d’approvisionnement alimentaire parmi de nombreux Canadiens. Blâmer l’industrie alimentaire a été, et continue d’être, une diversion commode pour les politiciens, détournant l’attention des véritables problèmes qui affectent l’inflation, tels que les dépenses publiques excessives et les politiques fiscales, entre autres.

Cependant, les épiceries ne sont pas exemptes de tout reproche non plus. Le respect de la réglementation a été un problème, et le scandale de fixation des prix du pain a certainement terni la réputation de l’industrie.

Il est également à noter que les marges bénéficiaires dans d’autres pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis sont environ la moitié de ce qu’elles sont ici. Tout en reconnaissant que les preuves d’un profit abusif au Canada sont faibles au mieux, il est nécessaire d’avoir plus de concurrence sur le marché.

François-Philippe Champagne, le ministre de l’Innovation, qui est en mission pour augmenter la concurrence, a appelé d’autres épiceries étrangères à investir au Canada. Cependant, le défi réside dans la création d’un environnement attractif pour l’investissement au Canada, ce qui ne peut être réalisé qu’avec un code de conduite obligatoire qui équilibre les règles du jeu entre les grandes chaînes d’épiceries, les épiceries indépendantes et les fournisseurs. En ce moment, des acteurs comme Loblaw et Walmart ont beaucoup trop d’influence et dictent les règles de la chaîne d’approvisionnement, ce que les consommateurs ne voient pas nécessairement. Cela dure depuis un certain temps déjà.

Avec un code de conduite obligatoire bien défini, il se peut que les Canadiens doivent attendre un certain temps avant de voir l’entrée de nouveaux acteurs de l’épicerie sur le marché canadien.