Distilleries Cirka : Savoir boire à la santé de son succès

Produire un alcool meilleur que le whisky qu’il n’avait jamais goûté ? Voilà le genre défi qui anime Paul Cirka au quotidien. Pas surprenant que ses alcools se démarquent aujourd’hui sur le marché canadien. | Par Thérèse Garceau

Paul Cirka, président et directeur général de Distilleries CIRKA est un vrai passionné. Pour lui, le mot « impossible » a visiblement été, depuis longtemps, rayé de son vocabulaire.

Son avenir de distillateur s’est révélé le jour où — en sirotant un vieux whisky dans un pub de Londres —, il s’est mis au défi de distiller lui-même un produit encore plus exceptionnel. « Je suis toujours à la recherche d’occasions d’affaires. C’est cette quête là qui m’a incité à me lancer dans la distillation de spiritueux artisanaux fabriqués à partir d’ingrédients locaux de la plus haute qualité. Je voulais produire des alcools nichés aux arômes et nuances qui plaisent aux amateurs et qui se distinguent dans le marché. »

Expérience, formation et recherche

Né à Toronto d’un père qui dirigeait sa propre firme d’ingénierie, Paul Cirka explique avoir toujours eu la fibre entrepreneuriale et surtout la confiance en soi nécessaire pour aller de l’avant peu importe le projet qu’il entreprend. Il confie carburer aux nouveaux défis et ne jamais avoir souhaité s’ancrer à vie dans une carrière.

Établi à Montréal depuis le milieu des années 1990 et après avoir œuvré 15 ans en haute technologie, l’entrepreneur veut passer à autre chose. Mais ne devient pas distillateur qui veut ! Déterminé à élaborer des produits d’exception, Paul Cirka entreprend alors des recherches exhaustives sur l’art de la distillation. Il suit des formations à l’American Distilling Institute et multiplie les échanges avec plusieurs distillateurs américains avec qui il se noue d’amitié.

« On ne devient pas distillateur du jour au lendemain. Il faut monter un plan d’affaires, penser à la propriété intellectuelle du produit, à l’équipement. Il faut travailler fort pour faire du rêve une réalité », explique l’homme d’affaires qui a d’ailleurs lui-même dessiné ses alambics.

Aucun compromis sur la qualité

En 2014, flanqué de ses partenaires JoAnne Gaudreau et John Frare, Paul Cirka fonde officiellement Distilleries Cirka. Le distillateur, qui tient d’abord à élaborer des spiritueux fins et distinctifs, s’est consacré plusieurs mois à l’élaboration des recettes. Il doit réaliser différents tests de goûts et de procédés avant de pouvoir entrer en pleine production en 2016.

Il lance d’abord la Vodka Terroir, un alcool à la texture satinée qui fait une entrée remarquée dans le marché. « La vodka est un produit simple, mais si tu la fais bien, cela te permet d’apprendre beaucoup sur les procédés de la distillation. J’ai choisi de me concentrer sur la distillation et d’offrir des produits faits entièrement de matières premières d’ici et de qualité supérieure. Nous ne faisons aucun compromis là-dessus. »

Des produits fièrement locaux

Très rapidement, deux gins se sont aussi ajoutés à l’offre de la microdistillerie artisanale qui occupe des installations au cœur de Montréal, tout près du canal de Lachine : le Gin Sauvage fait de maïs à 100% québécois et d’aromates provenant de la forêt boréale. Mais aussi le Gin375 aux arômes fruités et floraux, une édition limitée produite deux fois l’an et qui a été spécialement lancée pour célébrer le 375e anniversaire de la ville de Montréal.

Première distillerie au Québec à produire du grain à la bouteille de A à Z, l’entreprise, qui s’enorgueillit de son appartenance montréalaise, a non seulement choisi de mettre les saveurs du terroir au cœur de ses produits mais elle s’approvisionne aussi exclusivement chez des producteurs d’ici. Entre autres ingrédients, l’entreprise utilise du maïs, de l’orge, des graines, des herbes et des aromates 100 % québécois, du miel biologique de Miels d’Anicet dans son Gin375, du seigle de Yamachiche, des griottes d’Unifruits de Saint-Paul-d’Abbotsford.

« Nous accordons beaucoup de valeur à la production locale et aux producteurs avec qui nous travaillons. Ils sont aussi dédiés que nous à la qualité, au respect du territoire, de l’environnement. Je recherche des fournisseurs aussi passionnés que moi. Nos produits sont uniques et empreints de notre passion, à l’image de notre terroir, de notre ville aussi. Nous travaillons du grain à la bouteille et contrairement à plusieurs distillateurs qui achètent le moût déjà prêt, nous le fabriquons nous-mêmes sur place. C’est ce qui fait notre différenciation dans le marché, je crois. Les gens qui découvrent nos produits ont le goût d’en apprendre davantage. »

Vive la compétition et la concurrence

Ouverte à la dégustation depuis ses tout débuts, la microdistillerie permet aux consommateurs comme aux mixologues et aux restaurateurs de mieux comprendre la complexité et le processus de fabrication des produits. Paul Cirka se réjouit de pouvoir enfin vendre ses produits directement à la distillerie, ce qui n’était pas possible avant l’assouplissement de la réglementation de la SAQ en juillet dernier. « Il y a quatre ans, on comptait les distillateurs de gins sur les doigts d’une main. Aujourd’hui, on en dénombre plus d’une trentaine. L’engouement du public est là. En quatre ans, l’offre de gin québécois à sextupler par rapport aux autres catégories d’alcool et cela parce que nous produisons quelques-uns des meilleurs gins du monde. Les consommateurs ne sont pas toujours conscients du niveau de qualité que nous produisons ici. Nous avons construit notre propre environnement compétitif où nous voulons tous élaborer des produits distinctifs. » Le président et directeur général souligne que les deux dernières années ont été plus qu’exceptionnelles pour les microdistillateurs québécois.

Paul Cirka préfère de loin qu’il y ait d’autres bons distillateurs qui ajoutent d’excellents produits sur le marché. Il estime que cela interpelle le consommateur et l’incite à vouloir découvrir des produits. « La moitié des distillateurs québécois sont déjà venus chez nous. Nous échangeons sur les équipements, partageons des conseils. Isabelle Rochette, notre distillatrice de plancher, a suivi plusieurs ateliers chez différents distillateurs. Je crois que la saine compétition est bonne pour notre industrie. Le problème se trouve davantage du côté de la fidélisation du consommateur aux produits. »

La patience est très certainement la plus grande force du distillateur, qui en est à sa quatrième entreprise en carrière. « Tout est cyclique en affaires. Il y a des hauts et des bas. Il faut comprendre ce cycle qui fait qu’après un ralentissement vient un rebond et ainsi de suite. Il faut vivre dans le moment présent et faire face à ce qui se présente. »

Le défi du whisky

Après trois longues années d’attente en barrique qui lui auront permis d’acquérir le titre de whisky canadien, le whisky Cirka, qui constitue l’ultime objectif du distillateur, pourra enfin être commercialisé. Avec une capacité de production annuelle de 15 000 caisses, soit environ 135 000 litres, l’entreprise peut encore accroître de près de 50 % son volume de production actuel. Un des plus grands écueils à la production artisanale de whisky demeure le financement. « C’est extrêmement dispendieux de produire un baril de whisky. Il faut attendre entre trois et six ans avant de voir le retour sur l’investissement. C’est le plus gros irritant à l’heure actuelle. Il faut du temps pour se sortir la tête hors de l’eau avec le whisky. Je voudrais une croissance plus rapide, mais on doit y aller par priorités. Nous sommes quatre personnes dans l’entreprise et nous travaillons tous très fort. Mon but est de développer davantage cette part de notre marché, je sais que la demande est là. J’ai toujours de l’intérêt pour des gens qui souhaiteraient investir et nous permettre d’aller loin, plus vite. C’est la réalité des petites entreprises », souligne le président de la microentreprise.

La distillerie est déjà bien présente à la SAQ, dans les bars et restaurants du Québec, dans les succursales de la LCBO en Ontario, ainsi qu’en Alberta et en Nouvelle-Écosse grâce à des distributeurs. Paul Cirka souhaite la positionner dans un mode croissance dans les trois prochaines années.

Questions en rafales

Ce qui vous motive le plus

Je suis motivé par les défis. Je crois que tout est une question d’opportunité dans la vie et en affaires aussi. Il y a toujours un bon et un mauvais côté à chaque chose. Aussitôt que tu réussis à atteindre ton objectif, un autre défi se présente. C’est cela qui me nourrit le plus.

Votre plus grand défi

Venir à bout de mes propres exigences, faire taire mes attentes.

Vos moments de bonheur

Il y a beaucoup de bons moments. Je peux finir un lot de vodka à deux heures du matin et savourer cet instant de paix où le sentiment de fierté et de satisfaction fait oublier la fatigue. Quand les gens de l’industrie ou les consommateurs viennent ici goûter les produits et que je vois l’étincelle dans leurs yeux. C’est gratifiant.

Le succès, c’est…

Je n’ai pas encore statué là-dessus !

Votre auteur préféré est…

Je ne lis pas vraiment pour le plaisir. Mais le dernier livre que j’ai lu était Life of Pi, de Yann Martel.