LA VENGEANCE DES CONSOMMATEURS

« L’ensemble des compagnies qui œuvrent dans le domaine biotechnologique, incluant Monsanto, paient pour une campagne de commercialisation qui manque d’envergure…Depuis des décennies, les entreprises du domaine ont toujours vanté les vertus des OGM aux producteurs agricoles en éliminant complètement le consommateur de l’équation. »

Sylvain Charlebois, Université de Guelph

La croisade contre les organismes génétiquement modifiés (OGM) se poursuit. Le Sénat du Vermont, un État américain limitrophe au Québec, a récemment adopté une loi qui ferait de cet État la première juridiction nord-américaine à imposer un étiquetage obligatoire pour les produits génétiquement modifiés. Les États du Maine et du Connecticut ont déjà adopté une loi semblable avec une condition de réciprocité avec les autres États. Mais cette fois-ci, au Vermont, c’est une loi déliée de toutes conditions qui s’appliquera unilatéralement. Plusieurs États américains se sont même adonnés à des plébiscites sur l’étiquetage des OGM. En même temps, certains fabricants de semences génétiquement modifiées exhortent Washington à adopter une loi à l’inverse du Vermont. Monsanto, Bayer et compagnie mènent le bal, afin d’éliminer toutes chances que les Américains aient accès à un étiquetage probant à l’égard de la contribution biotechnologique en agriculture. Peu à peu, la contestation citoyenne contre la biotechnologie gagne du terrain.

Partout, les consommateurs se lèvent et revendiquent l’assaut biotechnologique. Le mouvement de contestation monte même en Amérique du Sud puisqu’un projet d’usine de semences de Monsanto a été bloqué en Argentine. Il ne faut surtout pas être surpris par ce qui se passe. L’ensemble des compagnies qui œuvrent dans le domaine, incluant Monsanto, paient pour une campagne de commercialisation qui manque d’envergure. Certes, depuis des décennies, les entreprises du domaine ont toujours vanté les vertus des OGM aux producteurs agricoles en éliminant complètement le consommateur de l’équation. Depuis lors, le manque de compréhension des risques et la désinformation ont envahi les tribunes qui nourrissent les appréhensions de plusieurs acheteurs. Par crainte, des appellations comme les « Frankenfoods » ont démonisé la contribution des OGM à l’agriculture et la question est hautement polémique.

L’agriculture mondiale n’a jamais été aussi productive, et la contribution des OGM y est pour quelque chose. Par contre, pour plusieurs consommateurs, cet apport est insignifiant puisque l’arrivée des OGM dans leurs assiettes depuis 1994 s’est effectuée sans leur approbation. De plus, il existe un certain consensus scientifique à l’égard des OGM. Personne n’a démontré avec un niveau de rigueur acceptable que les OGM représentent des risques potentiels sur la santé des consommateurs. Une étude du professeur Gilles-Éric Seralini qui préconisait le contraire et témoignait plutôt du caractère dangereux des OGM a été largement critiquée et a sombré dans l’oubli. Or, pour plusieurs consommateurs, les inquiétudes persistent. La recherche scientifique longitudinale sur la présence d’OGM dans nos aliments doit continuer à faire son chemin pour mieux comprendre les risques inhérents à la biotechnologie dans nos assiettes.

Somme toute, le pouvoir démocratique alimentaire appartient aux consommateurs. En effet, l’étiquetage représente l’outil de choix afin de permettre aux consommateurs d’apprécier pleinement ce qu’ils achètent dans les épiceries. Même si nous achetons souvent les produits alimentaires à la hâte sans nécessairement lire les étiquettes, l’accès à l’information et la transparence rassurent toujours en démocratie. Surtout, l’étiquetage obligatoire permettrait de démystifier une technologie mal comprise par plusieurs. Avec le temps, une éducation populaire et une communication de risque plus apparente apaiseront sûrement les mouvements de contestation sociale.

Certains perçoivent la rébellion contre les géants de la biotechnologie comme étant le modèle agricole néo-libéral qui supplante les valeurs intrinsèques que représente l’agriculture familiale. C’est ni plus ni moins la division qui existe entre l’agriculture et les citadins des agglomérations urbaines qui pousse les populations à se mobiliser contre l’inconnu. Et ce n’est pas terminé. La nanoscience et la manipulation de la matière à l’échelle atomique et moléculaire influent de plus en plus sur notre secteur agroalimentaire et représentent potentiellement la prochaine menace. Assurons-nous d’abord de bien informer les consommateurs sur les véritables risques de la nanotechnologie avant qu’il ne soit trop tard.

Source : Dr. Sylvain Charlebois
Professeur Titulaire
Distribution et Politiques Agroalimentaires
Vice Doyen
Collège en Administration des Affaires et Études Écononomiques
Université de Guelph