Le nouveau Guide alimentaire canadien | Point de vue d’un expert de la science des aliments

Lors de sa conférence d’ouverture, la ministre Ginette Petitpas nous souligne que venant d’une famille nombreuse, parmi ses meilleurs souvenirs, est l’arôme du pain frais qui l’incitait à descendre lorsqu’elle se levait le matin, pain qu’elle aimait déguster avec un peu de beurre. Avec le nouveau guide, on est bien loin de cette nourriture de réconfort qui fait un peu partie de notre ADN et de notre climat nordique. | Par Paul Paquin Ph.D., Professeur Émérite, université Laval (2018)

Nous sommes tous d’accord qu’une révision du Guide alimentaire canadien et un ajustement des principes d’une saine alimentation basés sur les nouvelles avancées scientifiques s’avéraient nécessaires. Cependant, pour quelle raison Santé Canada avait besoin de faire table rase du passé ? Et pourquoi produire un nouveau guide avec une approche totalement différente? On nous explique que ce nouveau guide a pris ses assises sur les modèles belge, suisse et surtout brésilien. On est loin d’un pays nordique comme le nôtre. De plus, Santé Canada nous dit avoir exclu de son analyse toutes les données liées à l’agroalimentaire (et ça paraît). On a utilisé que des données scientifiques solides ! En faisant ce choix, Santé Canada émet l’opinion que les recherches réalisées en partenariat avec l’industrie agroalimentaire sont biaisées et non fondées scientifiquement. Sur quelles bases peut-il faire cette affirmation ? De plus, cela ne fait que renforcer l’idée auprès des médias et des consommateurs que l’industrie agroalimentaire est biaisée. Cela encourage aussi une perception négative du secteur auprès de la population.

Les recherches universitaires oubliées

Je ne peux pas me prononcer pour les recherches effectuées dans d’autres pays. Mais Santé Canada montre clairement un manque crucial de connaissance de ce type de recherches réalisées dans les universités canadiennes. Pour avoir effectué plus de

35 ans de recherches dans le domaine alimentaire (laitier) et avoir occupé le poste de

vice-doyen à la recherche de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, je ne peux accepter ce genre d’affirmation. L’Université Laval, comme l’ensemble des universités canadiennes, réalise des recherches en partenariat avec des entreprises aux principes d’éthique et de propriété intellectuelle très bien établis, et cela, depuis plus de 40 ans dans le cas de l’agroalimentaire. Ces recherches en partenariat sont réalisées avec des entreprises et un cofinancement de différents organismes du gouvernement fédéral (Conseil de recherches en sciences naturelles et génie du Canada, Agriculture Canada, même Santé Canada, etc.) ou provincial (Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, MAPAQ, etc.). Il est aberrant de constater que des subventions accordées par des organismes fédéraux ou provinciaux issus du même gouvernement que Santé Canada ont été écartées de l’analyse de notre guide alimentaire. L’obtention de ces subventions se fait à la suite d’une une évaluation par des pairs (experts nommés par le gouvernement). Ensuite, la signature d’une entente entre l’université et les partenaires gouvernementaux et industriels se fait. Finalement les résultats scientifiques issus de ces travaux, sont soumis à une révision scientifique et sont évalués à nouveau par un comité d’experts (3/5). Alors, pourquoi discréditer ces recherches qui utilisent la même démarche que les subventions plus classiques. Sommes-nous en train de discréditer la recherche universitaire en partenariat si chère au gouvernement fédéral ?

« Santé Canada fait état d’un manque de connaissance »

Plus particulièrement, je veux souligner le cas des produits laitiers. Nombre de recherches effectuées au Canada au cours des 30 dernières années ont été réalisées en partenariat. C’est le cas entre autres de plusieurs travaux de recherches soutenus par les Producteurs laitiers du Canada (PLC) et NOVALAIT (société de recherche regroupant producteurs et transformateurs laitiers du Québec), deux organismes qui soutiennent depuis longtemps la recherche précompétitive pour l’ensemble de la filière laitière canadienne. De récentes études, dont certaines publiées par des chercheurs canadiens (Drouin-Chartier et al 2016, 2017.), ont clairement démontré que le type de matrice (fromage, yogourt, beurre) a un effet protecteur sur la matière grasse réduisant ainsi le risque de maladies cardiovasculaires, comparativement à ce que l’on observe pour leurs constituants seuls. Ceci démontre bien que c’est l’aliment qui est important et non les constituants uniquement. Ces travaux ont été réalisés avec une équipe multidisciplinaire composée entre autres de chercheurs de science de la nutrition et de science des aliments. Alors, pourquoi réduire les produits laitiers à uniquement une source de protéines et continuer de prôner la réduction en matière grasse laitière? Et c’est là, à mon avis, que Santé Canada fait état de son manque de connaissance de la science des aliments. C’est une lacune majeure de ce guide. On a mis de côté tout ce qui était agroalimentaire. On n’a aucune notion de la science des aliments et de la transformation alimentaire.

Le lait : mal catégorisée ?

Dans ce nouveau guide, on range les produits laitiers dans un regroupement un peu bizarre : source de protéines. Alors qu’il est connu depuis fort longtemps que les produits laitiers sont une source de protéines de hautes valeurs nutritionnelles avec une composition en acides aminés complète supérieure à la majorité des protéines végétales. Ils représentent également des produits à forte densité nutritionnelle avec plusieurs constituants importants (source de 14 vitamines et minéraux). On a aussi démontré que la matrice laitière a une importance dans la protection de la matière grasse saturée. Que nous faut-il de plus pour en faire une catégorie, plutôt que de dire de consommer plus de protéines végétales? Comment a-t-on pu concevoir un guide dont le classement a seulement deux groupes de produits alimentaires ? 1-les fruits et légumes, 2-les grains entiers et un troisième groupe, qui on ne sait trop pourquoi, lui qui parle de constituants ; les protéines. Il est clair, à mon avis, qu’on a voulu fusionner les deux anciens groupes alimentaires afin de favoriser les végétaux. Alors, pourquoi ne pas avoir laissé aux consommateurs un choix plus diversifié?

Curriculum Vitae de Paul Paquin Ph.D.

Professeur Émérite, Université Laval (2018)
Directeur/cofondateur du centre de recherche en science et technologie du lait ( 1985-1992), Université Laval
Directeur/cofondateur Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (1998-2003), Université Laval
Membre du comité scientifique aviseur, ministre de la Santé, Santé Canada (2001-2004)
Vice-doyen à la recherche faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation (2003- 2007), Université Laval
Président du comité consultatif sur les aliments, Santé Canada (2010-2012)
Membre de la fédération internationale du lait FIL, siège sur plusieurs comités à titre d’expert international science et technologie (1994-2015)

Dans la seconde partie de son point de vue sur le nouveau guide alimentaire canadien, Paul Paquin traitera, entre autres de l’ultratransformation des aliments et les produits laitiers. À lire prochainement sur le  site web de l’actualité ALIMENTAIRE.