L’économie circulaire en forme de biscuit de Jonathan Rodrigue 

Combattre le gaspillage alimentaire en produisant encore plus de nourriture ? Si la démarche de Jonathan Rodrigue et ses acolytes de Still Good semble contre-intuitive, elle est pourtant loin d’être farfelue. Depuis 2018 la jeune pousse Montréalaise a détourné des tonnes de résidus alimentaires des dépotoirs pour en faire des biscuits nutritifs si délicieux qu’il faut les tenir loin de Cookie Monster ! par Pascale Lévesque 

Le personnage vedette de Sesame Street, inconditionnel des biscuits, tomberait amoureux des produits de Still Goo. Un peu comme l’ont déjà fait à quelques reprises les juges de DUX. Après avoir fait sensation lors du MATCH DUX en 209, la startup repartait d’ailleurs avec l’un des trois Grand Prix lors de la récente édition de l’événement des Journées DUX Mieux Manger Mieux Vivre.  

« Ça confirme bien des choses après autant d’années d’efforts, explique Jonathan Rodrigue, fondateur de l’entreprise. On démontre que nos produits peuvent être à la fois bons pour la planète, bons pour nous et bons au goût. On fait aussi la démonstration que l’économie circulaire prend bien sa place en agroalimentaire.   

Les rebuts des uns deviennent ainsi le trésor de l’autre 

Les biscuits de Still Good sont bons pour la planète. Ils incorporent dans leur préparation des produits alimentaires toujours comestibles, mais rejetés ou non utilisés par d’autres transformateurs. Parmi leurs partenaires, Dose, une entreprise spécialisée en jus pressés, qui leur fournit la pulpe de carottes maltée, la betterave zestée et la banane mûre tandis que les microbrasseries Les 3 Brasseurs et MaBrasserie, les approvisionnent en drêche, résidu suite du soutirage du moût d’orge. Les rebuts des uns deviennent ainsi le trésor de l’autre.  

« On a réussi à faire un produit innovant avec de nouveaux ingrédients qui plaît au public, s’enorgueillit le président fondateur. Il y a cinq ans, des projets d’économie circulaire de ce type ça n’existait pas. Mais en ce qui me concerne, l’idée n’est pas si nouvelle. Ça mûrissait depuis longtemps. » 

Tombé dedans, comme Obélix dans la potion magique 

Jonathan Rodrigue aime dire que le gaspillage alimentaire « il est tombé dedans ». « J’avais 15 ans quand j’ai commencé à faire du bénévolat dans des organismes communautaires, relate l’entrepreneur qui a aujourd’hui 37 ans. Avec les factures d’épiceries croissantes, le dépannage alimentaire prenait toujours plus de place dans ce qu’on faisait. » 

À force de solliciter des acteurs de l’industrie de l’alimentation pour recueillir leurs surplus, Jonathan Rodrigue s’est demandé d’où venait toute cette nourriture. En clair, pourquoi autant de fruits et légumes étaient rejetés ainsi. « Toute cette expérience m’a fait comprendre comment fonctionnait la synergie agroalimentaire, poursuit-il. Quand je suis devenu le directeur du développement des affaires chez Moisson Montréal, j’ai développé un programme de récupération dans les supermarchés. On a réussi à fédérer plus de 600 épiceries. »  

Dans sa position, Jonathan Rodrigue a aussi été appelé à réfléchir avec d’autres collègues du milieu communautaire et de l’agroalimentaire pour trouver des solutions locales, provinciales et nationales. L’objectif ? Créer un modèle qui pourrait toucher les matières organiques. « C’est plus facile de prendre un pain invendu ou avec un défaut d’étiquetage et de le redonner, dit-il. C’est plus difficile de trouver une nouvelle vie à de la matière comme de la pulpe de fruit ou de la drêche. » 

Le gaspillage alimentaire, un phénomène énorme 

L’idée de Still Good est finalement arrivée à maturité quand son fondateur a été appelé à aider les entreprises à réduire leur production de déchets. « Le phénomène était énorme, se souvient-il. On pouvait facilement gaspiller ou jeter jusqu’au tiers de tout ce qui était produit. »  Pour les des compagnies comme Dose, MaBrasserie et Les 3 Brasseurs, c’est tout un casse-tête de se débarrasser de ces matières. D’autant plus que les options de compostage ne sont pas encore optimales.  

« Les mentalités ont évolué, se réjouit Jonathan Rodrigue qui est allé se perfectionner à l’École des hautes études commerciales de l’Université de Montréal. Beaucoup plus d’entreprises sont maintenant conscientes de l’importance de leur impact environnemental et désirent être partenaires en économie circulaire. Je remarque une très belle et grande ouverture. Dire qu’avant, celles qui optaient pour cette démarche souhaitaient demeurer discrètes. » 

Le cœur et la tête ont beau s’ouvrir, le travail d’éducation demeure toujours crucial. Choisir des biscuits pour se lancer n’était pas anodin. « Il y avait beaucoup d’idées préconçues par rapport au type de produit qu’on voulait vendre. On avait besoin d’un produit attrayant, plaide le président de Still Good. Tout le monde aime les biscuits ! Ils se sont avérés être la meilleure carte de visite. Là, on est prêts à pousser plus loin. » 

En plein développement, l’entreprise montréalaise travaille sur de nouveaux débouchés. « On a réussi à faire de la farine avec la drêche qui nous vient des microbrasseurs, explique Jonathan Rodrigue. Ce résidu devient une matière première riche en fibres et en protéines.  Ajouté aux produits de boulangerie, ça améliore les aliments.  On travaille actuellement sur de nouveaux produits avec cette base de farine. » 

Un avenir stimulant  

Grâce à leur partenariat avec Still Good, Les 3 Brasseurs ont travaillé ensemble à un burger dont le pain est confectionné à partir de farine de leur propre drêche. À raison de 200 kg de drêche par brassin, et 1000 brassins par année, la micro-brasserie devait vraiment trouver une multitude de solutions pour valoriser ce résidu de la fabrication de bière. « C’est exactement ce qu’on souhaite faire avec nos partenaires de micro-brasserie, assure-t-il. Ils sont plusieurs à avoir cogné à notre porte. »  

L’avenir de Still Good est stimulant. « On veut y aller étape par étape, assure Jonathan Rodrigue, mais on a toute une liste de matières qui sont destinées à l’enfouissement et pour lesquelles on planche sur des solutions d’utilisation dans l’alimentation humaine. » 

Chose certaine, peu importe les projets qui la feront croître dans les prochaines années, l’entreprise pionnière de l’économie circulaire en alimentation a d’ores et déjà atteint un de ses objectifs : celui de faire mentir la croyance selon laquelle le gaspillage alimentaire est un problème planétaire, impossible à résoudre localement. Le fer de lance de Still Good est plus que pertinent en 2021 : « Si c’est encore bon, c’est encore meilleur » – car rien ne se jette, tout se transforme !