Une souveraineté pour qui ?

Attendue depuis fort longtemps, l’attention soutenue que l’on a portée sur l’annonce d’une politique sur la souveraineté alimentaire au Québec était prévisible. Cette politique s’inscrit dans une mouvance populiste liée à une volonté collective de se rapprocher de l’agriculture.

Par Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires à l’Université de Guelph, Ontario

Le Québec est devenu la première province à adopter une telle politique. La plupart des détracteurs d’une telle politique se font discrets. Après tout, il est difficile d’être contre la vertu ! Qui peut être contre l’achat local de produits alimentaires ? En revanche, sans le reconnaître, une stratégie alimentaire insulaire pourrait nuire à l’ensemble des Québécois à longue échéance. Bien sûr, le mouvement sous-jacent à une souveraineté alimentaire émane souvent d’une volonté de mieux contrôler les destinées du système alimentaire devenu fort complexe ces dernières années. Le Québec n’est pas seul. Plusieurs régions du monde, surtout les régions touchées sévèrement par l’insécurité alimentaire, s’y intéressent. Ces régions, comme le Québec, tentent de museler l’impérialiste corporatif agroalimentaire provenant d’ailleurs au profit d’une meilleure autosuffisance alimentaire.

En apparence, cette approche a peut-être du mérite, mais elle a ses limites. L’intensification de la production ainsi que l’achat localisé de produits alimentaires ne garantissent en rien une agriculture plus performante. En effet, miser sur l’autosuffisance alimentaire pourrait même mener à une agriculture moins concurrentielle. Plusieurs régions à travers le monde l’ont appris à leurs dépens. Compte tenu de notre climat, certaines filières profiteront mieux que d’autres et les consommateurs seront toujours à la recherche de nouveaux produits alimentaires variés. En gâtant les consommateurs ces dernières décennies, il est difficile de croire que l’ensemble des Québécois comprend ce que l’autosuffisance alimentaire signifie vraiment.

Le plus grand défi pour l’autosuffisance alimentaire sera d’assurer aux Québécois des prix alimentaires abordables durant les prochaines années. Le parcours vers une plus grande souveraineté mènera assurément à des prix alimentaires plus élevés. Déjà, le ménage québécois moyen paie 6,5 % de plus pour son alimentation qu’un ménage canadien. Juste à côté, les Ontariens paient 12 % moins cher pour leur épicerie malgré un salaire moyen beaucoup plus élevé qu’au Québec. Encore là, plusieurs Québécois moins nantis n’ont tout simplement pas les moyens de payer davantage pour leur alimentation.

À court terme, la souveraineté alimentaire bénéficiera à un groupe sélect de producteurs et de transformateurs. Les consommateurs, quant à eux, écoperont. En principe, une meilleure sécurisation alimentaire assure à sa population des aliments plus accessibles, abordables et salubres. Dans le cadre d’une politique liée à une meilleure souveraineté alimentaire, personne, mais vraiment personne ne peut garantir une plus grande sécurité alimentaire aux Québécois.

La souveraineté alimentaire est ni plus ni moins un nouveau mouvement politique, protectionniste, en réaction au mouvement néo-libéraliste qui prévaut sur les marchés mondiaux. Certes, c’est une bonne nouvelle pour les Québécois qui y croient, mais il est fort improbable qu’une telle nouvelle rallie l’ensemble des entreprises agroalimentaires, surtout celles qui dépendent beaucoup des marchés hors Québec.

À défaut de considérer cette politique comme de l’artifice, l’intention des architectes de cette initiative a une saveur de folklore gastronomique, purement et simplement. On tente tout ainsi de dire ce que les Québécois veulent entendre tout en évitant d’expliquer les véritables enjeux macro-agroalimentaires. Se nourrir à l’avenir coûtera plus cher, et en misant sur l’autosuffisance alimentaire, le Québec devient plus vulnérable à l’égard de forces systémiques qui influent sur l’ensemble de la planète, incluant le Québec.

Il faut bien saisir la portée durable d’une telle politique. Sans nul doute, le Québec joue le rôle de pionniers avec une telle annonce, mais il serait surprenant que d’autres provinces suivent les traces de la Belle Province. En soi, c’est une bonne nouvelle. À l’instar des négociations d’un libre-échange avec l’Europe et avec d’autres régions du monde, de voir plusieurs provinces adopter une politique aussi circonscrite est la dernière chose dont le Canada a besoin sur la scène internationale.

(Photo à la une : Martin Lemire)