La fin de l’année marque une période propice à la rétrospective, mais aussi à la planification de l’année à venir. L’Actualité Alimentaire a donc invité Martin Lavoie, PDG du Groupe Export agroalimentaire, en tant qu’expert, pour analyser le paysage de l’exportation agroalimentaire après une année sous le thème de l’incertitude commerciale.
Analyse des exportations aux États-Unis
En 2024, les exportations agroalimentaires du Québec vers les États-Unis représentaient 71,8 % des exportations totales, une hausse de près de 3 % par rapport à 2023.1
Comment expliquer cette progression? « Il faut d’abord préciser que ces données sont calculées en valeur monétaire et non en volume de produits. C’est la seule unité de mesure commune à tous les produits agroalimentaires transigés. En réalité, la quantité exportée était peut-être similaire à celle de 2023. La hausse marquée du prix du cacao, équivalent à 666.9 millions en ventes supplémentaires sur les 12,8 milliards totaux, explique à lui seul une grande partie de cette augmentation. » mentionne M. Lavoie.
Pour 2025, les perspectives se révèlent meilleures que ce qui était initialement prévu. Par exemple, en date du 31 août, les exportations vers les États-Unis atteignaient 6,3 milliards de dollars, soit une hausse de 10,18 % par rapport à la même période en 2024. Mais cette hausse énonce une réalité bien différente d’un trimestre à l’autre. En effet, le premier trimestre de 2025 enregistrait une progression de 21 % par rapport à la même période en 2024 tandis que le deuxième trimestre, affichait une hausse de seulement 0,39 %. « Il est important de se rappeler qu’en janvier, par anticipation des annonces potentielles du gouvernement américain, plusieurs exportateurs agroalimentaires ont envoyé une grande quantité de produits dans des entrepôts aux États-Unis augmentant artificiellement les données d’exportation. » souligne Martin Lavoie. Même si le pire a été évité quant à l’imposition de tarifs sur les produits agroalimentaires, ces expéditions hâtives et massives ont coûté plus cher aux entreprises québécoises ainsi qu’aux clients en transport et en entreposage. Le deuxième trimestre a donc été caractérisé par l’incertitude et la gestion des inventaires sur place.
Prédire l’année 2026 représente un défi important.
« En discutant avec nos membres, on constate que plusieurs entreprises ont perdu au moins un client aux États-Unis. On nous mentionne aussi que le développement des affaires notamment pour introduire de nouveaux produits ou pour démarcher de nouveaux clients s’avère beaucoup plus difficile. » Outre la situation avec les États-Unis, la demande générale pour les produits alimentaires semble être au ralenti, causé notamment par la baisse du tourisme, par l’inflation alimentaire et par la fermeture temporaire de l’administration américaine.
À la suite de ces constats, dans la continuité des derniers mois, les ventes vers le marché américain pourraient stagner, voire légèrement diminuer en 2026. Plusieurs facteurs, dont la renégociation de l’ACEUM, influenceront le niveau des exportations du Québec vers les États-Unis au cours de la prochaine année.
La renégociation de l’Accord-Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM)
Le Groupe Export participe activement à la consultation sur la renégociation de l’ACEUM auprès des instances gouvernementales. La renégociation de cette entente commerciale, qui s’effectuera en 2026, s’avère d’une importance clé pour l’avenir de l’exportation des produits agroalimentaires.
« Même si les tarifs sont déjà à zéro pour la majorité des produits agroalimentaires couverts par l’ACEUM, l’objectif, dans le contexte actuel, est de confirmer la stabilité et la prévisibilité des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Pour y arriver, nous devrons revenir aux conditions d’avant 2025 qui ont bénéficié aux deux pays pendant plusieurs années. »
La clé : diversifier et gérer ses risques
Les entreprises peuvent commencer à diversifier leurs marchés de manière proactive afin d’être plus agiles en période de crise. Que ce soit au Japon, au Mexique ou dans l’Ouest canadien, se retrouver sur les tablettes des détaillants exige un processus en plusieurs étapes qui peut s’échelonner sur une longue période. Pour M. Lavoie, la diversification de marché et la gestion des risques s’avèrent donc d’une importance clé pour les prochaines années.
La réputation enviable du Canada à l’international et les quatorze autres accords de libre-échange, couvrant 49 pays, placent le Canada dans une position enviable. « L’ouverture des entreprises québécoises à se diversifier, et celle de plusieurs marchés à diversifier leurs approvisionnements, n’a probablement jamais été aussi grande que présentement. » ajoute le PDG du Groupe Export.
« La diversification de marché, c’est cependant beaucoup plus facile à dire qu’à faire pour la majorité des produits exportés. » En effet, tous les produits ne voyagent pas aussi bien. « Plus le produit est destiné directement aux consommateurs, plus la diversification est difficile. Tous les produits n’offrent pas le même rayon de diversification en fonction de leur durée de vie, leur compétitivité et leurs coûts de transport. » C’est pourquoi la diversification des segments de catégorie permet aussi de mieux répondre aux besoins des clients. Elle assure des ventes tout au long de l’année, et constitue un levier de gestion des risques.
La diversification des approvisionnements s’établit également comme un aspect clé de la gestion des risques. « Entre les changements climatiques, l’incertitude géopolitique, les grèves et les problématiques dans le milieu du transport, assurer ses arrières en multipliant ses fournisseurs, c’est vraiment un aspect important. » commente M. Lavoie.
Investissements stratégiques
Or, malgré leurs intentions de diversification des exportations, les coûts de production et de transport rattrapent les entreprises. « La voie idéale pour augmenter nos exportations passe, entre autres, par le support des gouvernements via des investissements stratégiques. Les entreprises doivent toutefois garder leur part de responsabilité dans la décision d’investir. »
D’ailleurs, lors d’une récente mission exploratoire sur l’innovation aux Pays-Bas, organisée conjointement avec Financement agricole Canada et le CTAQ, nous avons découvert des modèles de collaboration, de recherche et d’innovation extrêmement inspirants. Les Pays-Bas, relativement petits en termes de production, sont positionnés au troisième rang mondial des exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires, derrière les États-Unis et le Brésil. Leur véritable facteur de succès demeure la qualité, l’efficacité et la stabilité de ses solutions logistiques ainsi que de ses infrastructures portuaires et aéroportuaires. Fort d’un ADN marchand qui remonte à plusieurs siècles, le pays s’est doté d’une chaîne logistique et d’un système de soutien financier à la hauteur de ses ambitions.
« Une partie importante de la solution réside sur des investissements majeurs dans la chaîne logistique, si le Canada veut connaître du succès dans la diversification de ses marchés d’exportation agroalimentaire. » conclu Martin Lavoie.
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1 Données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.

