Etats généraux de l’alimentation. Face aux lobbies, les citoyens s’invitent à table

Les états généraux de l’alimentation tant attendus vont-ils trouver des réponses à la crise agricole et aux scandales sanitaires et environnementaux ? S’ils se bornent à rééquilibrer les relations commerciales entre producteurs, industriels et distributeurs, la montagne accoucherait d’une souris. Les acteurs d’une agriculture paysanne raisonnée, de la défense de l’environnement et de la santé des citoyens réclament, eux, toute leur place à la table des discussions dès le 11 juillet. Ils tiennent à se faire entendre malgré un agenda précipité.

Nicolas Hulot voulait un Grenelle de l’alimentation, Emmanuel Macron, can didat, promettait d’agir pour « as surer un revenu décent aux agricul teurs et une alimentation de qualité tout en respectant l’environne ment ». Avec Macron président, les états généraux de l’alimentation, qui débutent le 11 juillet, ont été préparés dans la précipitation et sans vraiment de concertation. Ils sont pilotés exclusivement par le ministère de l’Agriculture, au grand dam du ministre de la Tran sition écologique et solidaire, qui voulait davantage s’en mêler. Ob jectif principal : réorganiser les re lations commerciales entre pro ducteurs, transformateurs et distributeurs ­ de façon que le tra vail des agriculteurs soit plus juste ment rémunéré ­ et répartir les 5 milliards d’euros d’investisse ments promis sur cinq ans.
Fin juin, le ministre de l’Agricul ture, Stéphane Travert, a consulté en premier lieu les puissants : le syndicat FNSEA, la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), le groupe Lactalis, ainsi que les enseignes de la grande distribu tion ­ Système U, Leclerc, Auchan, Intermarché ­ et ensuite, seulement parce qu’elles ont fait le forcing, la Confédération paysanne, les asso ciations de consommateurs et les ONG environnementales.

DES ASSISES EN TÊTE À TÊTE ?

Les états généraux se dérouleront en deux temps. De juillet à sep tembre, les questions économiques et commerciales réuniront les filières agricole et alimentaire. En automne, place aux enjeux de santé et d’environnement avec les associations citoyennes.
Au menu de la première séquence, jusqu’à fin septembre, la création et la répartition de la valeur, et donc quel prix payé aux producteurs. Elle réunira dans huit ateliers syn dicats agricoles, coopératives, industriels, grande distribution.
À la rentrée, du 1er septembre au 30 octobre, une deuxième sé quence, sociétale, précédée d’une consultation publique, abordera la question de l’alimentation, de la santé et de l’environnement. Peut être seratelle copilotée, au moins, par les ministères de la Santé et de la Transition écologique ? Asso ciations de consommateurs, de défense de la santé et de l’environ nement y prendront part. Préoc cupées par le poids des lobbies industriels et professionnels dans ces états généraux, elles regrettent d’avoir été écartées du premier volet et tentent encore d’y être conviées. « Le tour de table ne peut se limiter à un têteàtête entre producteurs et distributeurs. La question de l’alimentation est transversale, elle ne peut être sépa rée de celle sur la production et la valeur ajoutée. Elle doit être traitée dans tous les ateliers », affirme Nicolas Giraud, de la Confédération paysanne.

PILLÉS PAR LA « LME »

La clôture est fixée au 13 novembre, au moment même où démarrent les négociations commerciales annuelles qui fixent le prix des produits dans la grande distribution, donnant lieu à une véritable guerre au détriment des producteurs. Cadre de cette négociation : la loi de modernisation économique (LME) de 2008, qui réglemente les négociations entre distributeurs et fournisseurs. Pour rappel, la LME est inspirée du rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française », destiné à Nicolas Sarkozy et François Fillon et en bonne partie rédigé par Emmanuel Macron…
La LME a instauré la liberté de négociation des prix entre les centrales d’achat des grandes surfaces et leurs fournisseurs pour « augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs en favorisant des baisses de tarifs ». Les agriculteurs, dont le revenu s’est, de fait, considérablement érodé, n’ont cessé de dénoncer une « course aux prix toujours plus bas » et ils demandent un rééquilibrage des relations en leur faveur. Un producteur de lait sur deux gagne moins de 350 euros par mois. La loi Sapin 2 a tenté d’y répondre en aménageant des « clauses de renégociation » qui intègrent l’évolution des coûts de production dépendant des fluctuations du marché des matières premières. Mais, depuis, la filière agricole déplore le non-respect du dispositif par les distributeurs, qui conservent l’avantage dans les négociations.
La LME va donc se retrouver au coeur de ces états généraux, du moins de leur premier volet. Il est probable qu’elle soit amendée avant la négociation commerciale annuelle. C’est ce que souhaite la FNSEA, premier syndicat agricole, qui demande sa révision « afin de sortir du dogme du prix bas et récupérer de la valeur ajoutée ». Comment y parvenir ? « En développant de véritables organisations de producteurs avec des capacités de négociations renforcées pour peser dans les négociations », indique le programme électoral de l’actuel chef de l’État. En d’autres termes, encourager le regroupement et la concentration de filières au détriment des circuits courts et des petites exploitations. Un modèle à contre-courant d’une agriculture raisonnée et des objectifs initiaux d’un Grenelle de l’alimentation.

POUR UN PÉRIMÈTRE ÉLARGI !

La Confédération paysanne revendique la « complète remise en cause » de la loi de modernisation économique. Elle plaide pour « une rémunération juste des paysans qui produisent une alimentation qui correspond à l’attente des citoyens ». La FNSEA, elle, ne veut pas « s’encombrer d’autres considérations que de retrouver un rapport de forces équilibré », a déclaré sa présidente, Christiane Lambert, à la fin de son entretien avec le ministre Stéphane Travert. « Le risque est que l’on fasse un Grenelle fourre-tout qui ne mène nulle part et qui pourrait décevoir les agriculteurs », a-t-elle ajouté, s’adressant ainsi à tous ceux qui demandent une approche globale de la concertation et une place plus forte des citoyens. « L’ensemble des acteurs de la fourche à la fourchette », confiait Nicolas Hulot au journal « le Monde » du 29 juin.
ONG et associations mettent la pression. Parmi elles, CCFD Terre solidaire, WWF, Greenpeace, Oxfam, Réseau Action Climat, la Fondation pour la nature et l’homme (ex-Fondation NicolasHulot) et France Nature Environnement (FNE). Elles ont interpellé le président de la République pour « un périmètre plus large » de ces états généraux.
« Les négociations sur le partage de la valeur ne peuvent être déconnectées d’enjeux globaux », souligne Michel Dubromel, président de FNE, réseau qui fédère 3 500 associations. « Alimentation et environnement sont indissociables. Il y a eu une fuite en avant vers de l’alimentation à bas coût et de mauvaise qualité et dont on paie ensuite, nous collectivement, les conséquences sanitaires. Consommateurs et agriculteurs en sont victimes tous les jours. C’est tout le modèle avec ses impacts environnementaux et de santé qui doit être discuté. Il faut un nouveau modèle dans lequel les agriculteurs doivent se retrouver. »

Abonnez-vous au magazine

* Champs obligatoires
*
*
*
*
En cliquant sur acheter, votre formulaire sera acheminé à nos représentants du service à la clientèle. Une personne communiquera avec vous sous peu pour achever le paiement de vos achats et vous enverra votre commande.
test