Les étiquettes de la confusion

« L’intention de Santé Canada est noble. En lisant les étiquettes nutritionnelles, le jargon utilisé par l’industrie a toujours représenté un véritable casse-tête pour tous. Mais les propositions de Santé Canada manquent un peu de finesse. »

 

Sylvain Charlebois, Doyen de la Faculté en Management, Professeur en Distribution et Politiques Agroalimentaires, Université Dalhousie.

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Saviez-vous qu’il existe plus de 150 façons d’afficher le contenu de sucre dans un produit alimentaire ? Pour le sodium ce n’est pas aussi confus, mais tout de même, lire et bien saisir le sens des étiquettes nutritionnelles sur les produits alimentaires est une expérience cauchemardesque pour plusieurs. C’est pour cette raison que la guerre a été déclarée entre les transformateurs alimentaires et Santé Canada depuis quelque temps.

 

Le régulateur public veut spécifiquement s’attaquer au sel, au sucre et au gras saturé. S’il n’en tient qu’à Santé Canada, tout produit contenant trop de sodium, de sucre et de gras saturé devra dorénavant afficher sur son emballage un logo spécifique indiquant que le contenu représente un choix moins attrayant pour ceux qui recherchent un aliment santé. Même tout cela reste à être finalisé, l’approche de Santé Canada soulève bien sûr l’ire de l’industrie agroalimentaire, surtout la transformation.

 

L’intention de Santé Canada est noble. D’ailleurs, même avant l’arrivée au pouvoir des libéraux, les conservateurs envisageaient ces mêmes changements, permettant à l’étiquetage des aliments d’être plus compréhensible. Le jargon utilisé par l’industrie a toujours représenté un véritable casse-tête pour tous. Mais les propositions de Santé Canada manquent un peu de finesse.

 

Plusieurs pays ont déjà adopté une politique d’étiquetage similaire. L’Union européenne, la Grande-Bretagne et l’Australie en sont quelques exemples. Évidemment, les intentions primaires de Santé Canada sont de forcer les entreprises à réviser leurs recettes pour diminuer la teneur de certains ingrédients indésirables, ou bien de dissuader les consommateurs d’acheter ces mêmes produits. Les symboles seront explicites et très visibles. Or, les logos proposés par Santé Canada sont binaires. Aux yeux des consommateurs, soit que le produit est bon, ou non. C’est une approche simpliste, peut-être un peu trop simpliste.

 

Avec une telle mesure, l’État permet aux consommateurs de juger si le produit représente un risque, en un clin d’œil. Il n’y a pas de juste milieu et aucune comparaison n’est permise. Les logos de la peur quoi, libellant certains produits comme du poison. Par ailleurs, l’approche dans certains autres pays permet d’afficher le degré de présence du sodium, du sucre ou des gras. Au Royaume Uni, par exemple, l’utilisation des couleurs des feux de circulation, le vert, le jaune et le rouge créent une échelle d’alerte facile à comprendre. Autrement dit, c’est au client d’utiliser son jugement et de décider le niveau de risque acceptable pour lui. Il ne faut pas oublier que la valeur nutritive des produits alimentaires est toujours une notion tout à fait relative. Selon l’état de santé d’un particulier, un produit peut être inoffensif, s’il est consommé avec modération, bien évidemment. Se faire plaisir existe en alimentation. 

 

L’autre faille dans le plan proposé par Santé Canada est d’ignorer la présence de sucre ajouté. Plus de 75 % des produits transformés que l’on achète aujourd’hui contiennent des sucres ajoutés durant la transformation. Actuellement au Canada, plus de 80 % des consommateurs sont à risque de maladies très graves à cause d’une mauvaise alimentation contenant trop de sodium, de sucre ou même de gras saturés. La pratique industrielle d’ajouter du sucre ou autres doit être découragée, mais il faut faire attention. La demande nord-américaine est ni plus ni moins accro aux saveurs des produits alimentaires d’aujourd’hui. Un changement trop rapide inciterait les consommateurs à moins apprécier l’offre alimentaire canadienne dans son ensemble. La compagnie Campbells’ Canada l’a appris à ses dépens ces dernières années. L’entreprise basée à Toronto avait dû cesser sa campagne contre le sodium puisque ses ventes avaient diminué de 20 % à 30 % en quelques années.

 

De plus, comme nous importons beaucoup de produits transformés, en allant de l’avant avec une telle politique au pays, Santé Canada risque d’offrir, sans le vouloir, un avantage concurrentiel aux produits importés. Inconsciemment, nos papilles gustatives nous trahissent et sont programmées pour rechercher les goûts salés ou sucrés. Avec le temps, les Canadiens pourraient bouder ses propres produits domestiques. Et si Santé Canada impose sa loi à la lettre, par le biais de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, le contrôle nécessaire pour s’assurer que les emballages sont respectueux de nos lois coûtera cher, très cher. En ce moment, avec un budget qui frôle les 800 millions de dollars, moins de 2 % des produits importés sont vérifiés par l’Agence. Et déjà, il est très facile de trouver un produit importé dont l’étiquetage ne respecte pas nos règles. Au minimum, une approche coordonnée avec les Américains serait un bon point de départ.

 

En alimentation, plusieurs mentionnent que le sucre et le sodium sont le nouveau tabac des temps modernes. C’est peut-être vrai, mais il ne faut pas exagérer. Le tabac tue, point. Le sucre ou le sodium, pour leur part, font partie d’une saine alimentation, si consommés avec modération. Donnons une chance aux Canadiens d’apprivoiser les ingrédients en leur offrant l’occasion d’utiliser leur jugement. Somme toute, l’éducation alimentaire demeura toujours l’outil de choix pour nous tous.

  

Dr. Sylvain Charlebois, B.Comm MBA DBA

Dean of Management and

Professor in Food Distribution and Policy

Faculty of Management

Faculty of Agriculture

 

Faculty of Management

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