L’innovation sous divers angles: l’acquisition, le rachat d’une fromagerie

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Acquérir une entreprise ou un produit déjà existant, pour l’améliorer et pousser plus loin son rayonnement, représente un défi d’innovation. Découvrez les cinq enjeux à relever.

Lorsque Yacine Ould et son père Abdelghani Ould Baba Ali ont entrepris son acquisition en juin 2017, La Fromagerie F.X. Pichet fonctionnait depuis dix ans. En difficulté financière, la fromagerie de Sainte-Anne-de-la-Pérade, en Mauricie, n’était plus que l’ombre d’elle-même. La production de fromage, dont celle du bien connu Baluchon, s’y était arrêtée depuis déjà quelques mois.

Avant même de penser innovation, il fallait sauver les meubles. Les nouveaux propriétaires ont dû réagir rapidement. « La première chose qu’on a faite en entrant ici, c’est de redémarrer la production de fromage. Il fallait éviter qu’il soit absent trop longtemps et ne finisse par être délisté et perde sa place sur les tablettes, » explique Yacine Ould.

En septembre, après 60 jours d’affinage, le Baluchon était de retour dans les épiceries, et près d’un an plus tard, le rythme de la production est redevenu ce qu’il était aux temps des beaux jours.
En faisant cette acquisition, père et fils allaient réaliser un rêve de famille qu’ils caressaient depuis toujours, celui de posséder leur propre fromagerie.

Abdelghani Ould Baba Ali, détenteur d’un diplôme d’ingénieur agronome de l’Institut National Agronomique d’Alger, d’une maîtrise en Sciences et Technologie des Aliments de l’Université Laval, et 25 ans comme consultant expert en fromagerie à travers le Québec, entre autres pour le MAPAQ, avait toutes les qualifications nécessaires pour devenir à son tour fromager.

Son fils Yacine, ingénieur industriel, avait eu l’occasion de développer tout un palais pour les fromages fins en suivant son père, en plus d’occuper pendant un temps un poste de gérant dans une fromagerie.
Pour ces citadins venus de la région de Montréal, se déraciner pour s’établir en Mauricie ne constituait aucunement un enjeu. « De toutes façons, on savait que ça arriverait, la question c’était de savoir où et quand !»

1- Choisir… garder ce qui est bon et se distancer de ce qui l’est moins
Les nouveaux fromagers ont rapidement compris qu’il était impératif de faire des choix. Ils se sont retrouvés face à une série de décisions à prendre. Leur premier choix stratégique a été de changer le nom de la fromagerie. « En arrivant ici, il y avait des constats à faire. Certaines choses marchaient bien et d’autres pas, il a donc fallu faire des choix, pour garder ce qui fonctionnait et se distancer du reste. Entre autres, le nom de la fromagerie, F.X. Pichet, que les gens retenaient mal. Puisque le fromage Le Baluchon était très populaire, on a décidé de rebaptiser la fromagerie comme ça.»

Le Baluchon, avec sa petite souris, est donc devenu l’image de marque de la fromagerie elle-même, avec tout un travail à faire pour remettre les outils de communication à niveau. « Depuis un an, on était pas mal dans l’urgence, mais on aura de nouvelles étiquettes sous peu, qui mettront encore plus de l’avant la certification biologique du produit », dit Yacine.

2- S’établir… créer des racines locales
Puisque les opérations étaient arrêtées depuis quelques mois lorsque Yacine et son père ont acquis la fromagerie, il n’y avait plus aucun employé. Il fallait réengager des gens. Aujourd’hui, l’équipe compte une dizaine d’employés.

«C’était important pour nous de garder l’entreprise en Mauricie et d’engager des gens d’ici. Il n’y a qu’une seule autre petite fromagerie dans la région, mais sinon, c’est la seule en Mauricie, et les gens y sont attachés. Notre objectif est de développer encore davantage leur sentiment d’appartenance. On compte s’impliquer dans la région, créer des racines locales, ce que les anciens propriétaires n’avaient pas tellement le temps de faire. C’est un élément important de notre stratégie. »

3- Focaliser… concentrer notre temps là où ça rapporte !
Les nouveaux propriétaires du Baluchon veulent mettre leur produit à l’avant-plan. « On n’est pas très star système. Notre but est d’être d’excellents transformateurs, mais on ne souhaite pas devenir des animateurs pour faire le tour des évènements. C’est important pour nous d’être présents à la fromagerie. »

Bien qu’ils ne produisent pas leur lait eux-mêmes, comme le faisaient les anciens propriétaires, le lait provient quand même de troupeaux de vaches de la région. « Le Baluchon restera un fromage du terroir de la Mauricie. »

Investir dans ce qui fonctionnait déjà bien leur a semblé gagnant. Les nouveaux fromagers ont donc choisi de perpétuer la production du fromage Le Baluchon, qui remportait 80 % des ventes, et de cesser celle des autres fromages. « En gardant les autres fromages on se serait éparpillé. On a décidé stratégiquement de ne plus les faire. Par contre on travaille à développer d’autres produits, dérivés du Baluchon, toujours en bio, avec des degrés d’affinage différents, » dit Yacine.

4 – Assurer… Constance dans la qualité du produit
Rester artisan, tout en étant compétitif, c’est le credo des nouveaux propriétaires. Avoir un produit toujours égal, tant au niveau de la texture, de la saveur, de la forme ou encore du goût peut sembler chose facile mais lorsqu’on travaille avec une matière première vivante, ça demande énormément de recherche et de temps afin de bien comprendre et de maitriser tous les paramètres qui ont un impact sur la stabilité du produit. Le consommateur, d’une fois à l’autre, doit pouvoir retrouver le produit qu’il connait. On a encore quelques petits ajustements à faire, mais depuis janvier ça s’est stabilisé », dit Yacine.

5 – Innover… c’est parfois revenir en arrière
Créer des liens avec la clientèle, mais aussi réduire la longueur des circuits de distribution feront partie de leur stratégie. « 50 % de ce qu’on fait c’est fabriquer le fromage, mais l’autre 50 % c’est d’en assurer la distribution. Il va y avoir une refonte. Auparavant, Le Baluchon partait pour Montréal, avant de revenir en Mauricie. On va maintenant mettre en place des circuits de distribution plus courts. »

Selon Yacine, les modèles de consommation traditionnels sont en train de se briser. « Il faut s’adapter, car les comportements des consommateurs évoluent. Les gens veulent de plus en plus connaitre ceux qui fabriquent les produits qu’ils mangent, et je crois qu’on va revenir au modèle du fromager-marchand. L’innovation, ça suit des cycles. Parfois, innover, c’est recommencer à faire des choses qu’on faisait avant. »

Par Geneviève Quessy

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