L’innovation sous divers angles. Dossier 3 de 5 : La collaboration , la force d’un réseau

par Geneviève Quessy

En mai 2001, un groupe s’est porté acquéreur de la Fromagerie Saint-Fidèle, une institution centenaire de Charlevoix. Ce consortium visionnaire était composé de la Laiterie de la Baie, de la Fromagerie Boivin et d’un groupe de 37 producteurs laitiers.

« Notre objectif, en tant que producteurs laitiers, était de se rapprocher de la transformation, mais nous souhaitions également perpétuer le savoir-faire et les produits de cette fromagerie de Charlevoix qui existait depuis déjà 100 ans », explique Daniel Gobeil, président des Producteurs de lait du Saguenay et membre actionnaire de la Fromagerie Saint-Fidèle.

Capitaliser sur l’actif… du fromage depuis plus d’un siècle
Dès 1902, le fromage fabriqué à Saint-Fidèle par monsieur Joseph Bhérer était transporté à Pointe-au-Pic pour être livré par bateau jusqu’aux grands centres. Vingt ans plus tard, un point de vente permanent était inauguré dans ce petit village du bord du fleuve, maintenant fusionné à La Malbaie. La Fromagerie Saint-Fidèle y a pignon sur rue depuis tout ce temps.

Étape incontournable pour les voyageurs de la route 138 qui s’y arrêtent pour s’approvisionner en fromage en grains encore tout chaud, la Fromagerie Saint-Fidèle est devenue une véritable institution dans Charlevoix. Voir ce fleuron disparaître aurait été une grande perte pour la région.

« Quelques années auparavant, la Fromagerie Saint-Fidèle avait été rachetée par un plus gros acteur, qui a relocalisé la production, puis décidé de fermer. En voyant ça, on s’est dit qu’il y avait peut-être une occasion à saisir », dit Daniel Gobeil.

Voir venir les choses… saisir les OCCASIONS
Luc Boivin, président de la Fromagerie Boivin, raconte le jour où le projet d’acheter la Fromagerie Saint-Fidèle a germé dans son esprit. « On venait pour acheter les équipements de la fromagerie qui était à vendre, puis on a vu que l’usine était en très bon état. Il y avait aussi un besoin dans le marché pour le fromage suisse. C’est là qu’on a monté un plan d’affaires et qu’on a décidé de se lancer. »

À l’époque, au tournant des années 2000, plusieurs producteurs laitiers de la région commençaient à s’intéresser à la transformation. « On entendait parler des marges de profit des transformateurs et on se disait que développer cette expertise pourrait être un bon plan B, au cas où la gestion de l’offre deviendrait menacée, ou en cas d’accord internationaux qui nous seraient défavorables, comme celui de l’accord avec l’Europe dont on commence à sentir les effets », dit, Daniel Gobeil.

La Fromagerie Boivin et la Laiterie de la Baie se sont donc jointes à un groupe de 36 producteurs laitiers de Charlevoix et un producteur du Saguenay pour former un consortium. « Les fromageries apportaient le savoir, et les producteurs le capital de risque », résume Daniel Gobeil. En mai, 2001, un an après sa fermeture, le groupe achetait la Fromagerie Saint-Fidèle pour en redémarrer la production, tout en réembauchant plusieurs des anciens employés.

Seul, on va vite… ensemble, on va loin
Plusieurs défis se sont présentés dès le départ. « Avec un aussi grand nombre d’associés, il fallait créer une structure et des conventions qui fonctionnent et qui puissent nous mener à des décisions unanimes. L’éloignement géographique était aussi un défi, les producteurs se trouvant à beaucoup de distance les uns des autres. C’est finalement un conseil d’administration composé de sept personnes qui a été créé pour gérer la fromagerie au quotidien, et nous nous réunissions tous ensemble à l’occasion d’assemblées spéciales. On peut dire que ça se passe très bien et que l’information circule. »

Aujourd’hui, les 37 producteurs du départ sont devenus 26, au fil des rachats des parts de ceux qui se sont retirés. Ensemble, ils détiennent 50 % des actions, tandis que la fromagerie Boivin et la Laiterie de la Baie en détiennent 25 % chacune.

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Investir… pour augmenter l’efficacité
Puisque la fromagerie avait été fermée quelque temps, il fallait récupérer les parts de marché, reprendre les places sur les tablettes et reconquérir le cœur des consommateurs. Des surprises attendaient les nouveaux propriétaires. « Durant la fermeture, l’appellation fromage de Saint-Fidèle avait été utilisée par d’autres fromageries. Il fallait rependre notre place. Le démarrage n’a pas été facile, mais on a travaillé fort », raconte Luc Boivin, président de la Fromagerie Boivin.

Tous les points de vente ont été rouverts et on a trouvé de nouveaux distributeurs. « Ça nous a pris au moins cinq ans pour retrouver une vitesse de croisière. On a commencé par les bars laitiers et les épiceries du coin, puis on a développé de nouveaux clients, jusqu’à des marchés plus industriels, partout au Québec », raconte monsieur Gobeil.

De nouveaux équipements ont été achetés pour augmenter l’efficacité de l’usine, notamment des cailleurs plus performants.

Des investissements ont également été nécessaires pour rendre la fromagerie conforme aux normes environnementales. « On a entre autres investi dans un séchoir pour éviter les rejets de lactosérum dans l’environnement. C’est plus économique que de le transporter sous forme de liquide par camion. Une fois séché, le lactosérum peut être revendu pour l’alimentation animale », dit monsieur Gobeil.

Conservateur… tout en étant innovateur !
Des 10 millions de litres de lait transformés par la fromagerie chaque année, presque l’entièreté provient des vaches de Charlevoix. « Ce sont des vaches nourries au fourrage. C’était important pour nous de préserver le même goût et la même qualité », dit Daniel Gobeil.

En plus du traditionnel cheddar, en bloc et en grains, et du fameux fromage suisse sans lactose qui ont fait sa renommée, d’autres fromages ont été développés depuis le rachat de la Fromagerie Saint-Fidèle.

En 2011, La Belle Brune, un fromage suisse au goût de noisettes affiné à la bière, a été créé en association avec la Microbrasserie de Baie Saint-Paul et sa bière La Vache folle. En 2015, c’est le Trotteur de Charlevoix, un fromage affiné à pâte ferme au goût de crème et de beurre qui surgissait sur les tablettes.

Malgré ces nouveautés, l’image de marque n’a pas tellement changé. Le petit trèfle à quatre feuilles qu’une jeune fille avait trouvé sur le terrain de la fromagerie au milieu du siècle passé est toujours son logo. « On est assez conservateur, mais surtout notre intention était de perpétuer le produit sur le marché », dit monsieur Gobeil.

Selon Luc Boivin, c’est grâce au savoir-faire des anciens employés réembauchés que la tradition du fromage suisse Saint-Fidèle a pu se perpétuer. « Et aujourd’hui, nous avons l’une des meilleures usines de transformation de fromage de type gruyère au Canada. »

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