Le nouveau Guide alimentaire canadien : point de vue d’un expert de la science des aliments (2e partie)

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L’ultratransformation des aliments et les produits laitiers

On remarque cette tendance lourde de mettre la faute des problèmes de santé sur l’alimentation, plus spécifiquement sur la transformation des aliments et les entreprises alimentaires (ultratransformation, influence du Brésil). Qu’est-ce que tous ces grands spécialistes de la santé connaissent de la transformation alimentaire ? Qui possède de l’expertise en science des aliments et comprend les procédés et technologies pour parler d’aliments ultratransformés? | Par Paul Paquin Ph.D., Professeur Émérite, université Laval (2018)

À mon avis, on voit bien le manque criant de la consultation des experts en science et technologie des aliments. Ces experts sont aptes à comprendre les défis du secteur industriel alimentaire, à saisir les progrès énormes réalisés depuis 40-50 ans sur l’innocuité et la qualité de nos aliments pour une société de plus en plus urbaine. Il faut savoir que la grande majorité des procédés industriels sont de nature physique (ultrafiltration, pasteurisation, séchage, déshydratation, etc.) ou biotechnologique (fermentations, acidifications, réactions enzymatiques, etc.).

Comprendre les produits transformés

Les terminologies du système brésilien NOVA sont un bel exemple d’une méconnaissance totale des procédés de transformation et de la science des aliments. Ce classement réalisé par des spécialistes de santé publique est très aléatoire entre aliments peu transformés et ultratransformés. Quand on considère que la caséine et le lactosérum sont des additifs alimentaires, on démontre bien la limite de nos connaissances, sachant qu’il s’agit tout simplement de la dénomination scientifique des protéines laitières (le lactosérum, c’est le petit lait de fromagerie). Lorsque j’ai débuté il y a de cela plusieurs années, les crèmes 35 % contenaient sur l’étiquetage un ingrédient, du Irish Moss/mousse d’Irlande, qui est en réalité un extrait d’algues rouges au pouvoir épaississant. Depuis, les crèmes possèdent toujours ce même extrait d’algues rouges, un polysaccaride (longue chaîne de glucides). Aujourd’hui, à la suite des changements de la règlementation d’étiquetage, le même ingrédient s’appelle de la « carraghénane ». Pourquoi démoniser la transformation alimentaire parce que l’on ne comprend pas comment cela est fait ? Je tiens à préciser, je ne veux pas défendre l’indéfendable. Il existe des produits de type fast-food, mais cela n’a rien à voir avec la notion d’ultratransformé.

À la défense du sel et du sucre

De plus, toute l’emphase mise sur la notion qu’un produit est ultratransformé parce qu’il contient du sel, du sucre ajouté est particulièrement inexacte. L’alimentation au fil du temps, s’est développée par le contrôle de l’innocuité des aliments, entre autres parce que le sel et le sucre sont des agents limitant la croissance des microorganismes et sont à la base de notre alimentation. À bien y penser, la recette de confitures de ma grand-mère ou un bon vieux pâté à la viande vendu dans le commerce sont certainement, selon les principes de NOVA, des aliments ultratransformés. Cependant, il est bien certain que ma grand-mère ne perdait pas ses confitures par manque de sucre. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de fabriquer des confitures avec moins de sucre par l’ajout de gomme alimentaire (extrait d’algues ou de sève d’arbre) est-ce que cela les rend ultratransformés? J’en doute ! Alors pourquoi ne présentons-nous pas un guide alimentaire avec une approche positive d’une saine alimentation plutôt que de faire peur aux gens ? Il y a un pas à ne pas franchir, à mon avis, entre reconnaître que certains produits alimentaires sont des aliments de restauration rapide (fast-food) et démoniser la transformation alimentaire. Santé Canada devrait retirer le terme «ultratransformé» de son guide alimentaire.

Je crois que d’avoir seulement consulté les professionnels du domaine de la santé/médecine/ nutrition et de santé publique et d’éviter les experts de la science des aliments et de l’agroalimentaire a apporté un déséquilibre dans la préparation du guide. On aurait dû consulter l’ensemble des expertises autant les sciences des aliments/transformation et les sciences de la nutrition/santé. On se retrouve avec une approche plus nutrition/santé voire médicale de l’alimentation, qui a mon avis donne une vision négative de l’alimentation (pas de gras saturé, pas de sucre, pas de sel).

La pression environnementale

Avec tous ces grands constats sur les problématiques liées à la santé des populations, que tous reconnaissent, s’ajoute l’aspect environnemental. On observe à l’international des pressions importantes concernant l’alimentation et la préservation de notre planète. On n’a qu’à penser aux dernières révélations sur la EAT-Lancet Commission, sa fondatrice, Gunhild Stordalen, et son président, Dr Walter Willett, de Havard. Groupe à propos duquel plusieurs questions se posent dernièrement. De plus, dans un contexte environnemental où les sources alimentaires locales devraient être favorisées, pourquoi favoriser davantage les protéines végétales que les protéines animales? Sur quelles bases scientifiques s’appuie-t-on ?

À la défense du lait

Le secteur laitier a depuis plusieurs années choisi de produire et de transformer les produits laitiers dans le cadre de la gestion de l’offre. Bien que l’on puisse avoir différents avis sur cette structure, il n’en demeure pas moins que, à l’échelle de la planète, c’est notre production locale, faite chez nous pour notre population, où l’on connaît la traçabilité de l’ensemble de la chaîne. D’autant plus que les études récentes sur les produits laitiers au Canada démontrent une empreinte de carbone de 0,94 kg de CO2 par litre de lait, soit trois fois moins que la moyenne mondiale. Au cours des cinq dernières années, les producteurs laitiers canadiens ont obtenu 7 % de réduction de l’empreinte de carbone, 6 % de réduction de l’utilisation de l’eau et 11 % de réduction d’utilisation des terres (Ageco 2018). L’industrie (transformation), en 1996, il y a de cela plus de 20 ans supportait d’ailleurs des travaux de recherches pour réutiliser les protéines du petit lait de fromage (lactosérum) plutôt que de les rejeter dans l’environnement, réduisant l’empreinte environnementale. Ce produit est aujourd’hui utilisé dans plusieurs applications alimentaires, ces protéines de lactosérum sont une source de haute valeur ajoutée (Paul Paquin, chaire industrielle du CRSNG). Le souci de l’environnement ne date pas d’hier dans le secteur laitier et alimentaire.

J’ai travaillé plus de 35 ans comme chercheur dans le secteur laitier (plus de 275 conférences et communications, plus de 260 publications et rapports). J’ai été bien placé pour voir l’évolution du secteur et mesurer l’innovation, l’amélioration de la qualité et la diversité de produits que l’on offre aujourd’hui aux consommateurs. J’ai été particulièrement témoin de la grande évolution de nos usines de transformations, que ce soit les grandes, moyennes et petites entreprises. Je crois que le secteur laitier au Canada et au Québec devrait être notre fierté, plutôt que l’inverse, pour la qualité des aliments qu’il fournit chaque jour aux consommateurs.

Un guide et ses craintes

Aujourd’hui, mon rôle presque à temps plein est d’être un grand-père qui s’occupe et qui se soucie de sa famille et de ses sept petits-enfants. Ma grande crainte par rapport à cette nouvelle approche du Guide alimentaire canadien, ce sont les jeunes enfants en croissance et leur alimentation. Avec tous les systèmes de garderie et les milieux scolaires qui suivent le guide, va-t-on prendre au pied de la lettre ces recommandations? Les enfants en bas âge seront-ils élevés au lait écrémé ou n’auront-ils pas de lait du tout ? Un de mes petits-fils qui a sept ans, Guillaume, ne peut déjà pas apporter du yogourt comme collation parce que ça contient du sucre. Pour les jeunes enfants, un bon verre de lait au repas, ça contient 2 % de matières grasses, 3,2 % de protéines, 5 % de glucides (lactose), 1,5 % de minéraux et de vitamines et 88 % d’eau. J’espère que l’on continuera de permettre à ces petits de consommer leur verre de lait pour leur santé.

Curriculum Vitae – Paul Paquin Ph.D.

Professeur Émérite, Université Laval (2018)
Directeur/cofondateur du centre de recherche en science et technologie du lait (1985-1992), Université Laval
Directeur/cofondateur Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (1998-2003), Université Laval
Membre du comité scientifique aviseur, ministre de la Santé, Santé Canada (2001-2004)
Vice-doyen à la recherche faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation (2003- 2007), Université Laval
Président du comité consultatif sur les aliments, Santé Canada (2010-2012)
Membre de la fédération internationale du lait FIL, siège sur plusieurs comités à titre d’expert international science et technologie (1994-2015)

 

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